jeudi 27 mai 2021

Après le meurtre d'Audrey Adam : les travailleurs sociaux, «réceptacles d’une société qui va mal»

L'Humanité, Mercredi 26 Mai 2021, par Nadège Dubessay

Les travailleurs sociaux sont à bout de souffle et réclament plus de moyens humains, financiers et de formation continue. 

Une travailleuse sociale a été tuée dans l’exercice de ses fonctions le 12 mai. Elle n’a pas eu le droit à un hommage national. Preuve de l’absence totale de considération pour cette profession essentielle.

Elle devait rendre visite à un ancien agriculteur de 83 ans, dans le cadre d’un accompagnement professionnel personnalisé. L’homme tire sur elle, la tue et se donne la mort. C’était le 12 mai. Audrey Adam, 36 ans, conseillère en économie sociale et familiale du conseil départemental de l’Aube, meurt assassinée dans l’exercice de ses fonctions. Il n’y a eu ni hommage officiel, ni gros titres dans les journaux. Pas une minute de silence, si ce n’est celle rendue le 17 mai par les travailleurs sociaux, choqués par l’absence de réactions des pouvoirs publics.

Cette actualité dramatique n’est pas sans écho à d’autres. La liste des travailleurs sociaux tués ces dernières années est longue. En 2015, à Nantes, Jacques Gasztowtt, éducateur spécialisé, mourait lui aussi en exerçant son métier. Tout comme l’éducatrice spécialisée Marina Fuseau, en 2017, à Poitiers, ou encore Cyril Pierreval, chef de service d’un centre d’accueil à Pau, en février dernier.

Assourdissante indifférence
Pour Benoît Teste, secrétaire général de la FSU, cette assourdissante indifférence n’est « qu’une nouvelle démonstration du peu de considération et d’intérêt dévolu à ce champ professionnel ». Alexandre Lebarbey, de la fédération santé et travail social à la CGT, rappelle le dur quotidien des travailleurs sociaux, « rythmé par la violence face à un public souvent difficile, en crise ». Il le constate chaque jour : les accidents du travail, les difficultés psycho-sociales au travail, les difficultés de recrutement et les demandes fréquentes d’affectation ou de secteur touchent davantage les travailleurs sociaux que les autres professions. Salaire dérisoire (un éducateur commence sa carrière avec 1 400 euros net), charges de travail qui explosent face à l’aggravation des inégalités et de la paupérisation des populations fragiles…

La peur au ventre
Dans ces conditions infernales, les travailleurs sociaux sont à bout de souffle et réclament plus de moyens. Humains, financiers et de formation continue. D’autant que, premiers de corvée, ils doivent « panser les plaies d’une société malade de la dilution des liens sociaux et de la destruction des cadres collectifs et des dispositifs permettant pourtant d’amortir la misère sociale », soulève le syndicat Solidaires. Eux, les invisibles, comme ils se nomment, accomplissent au quotidien des missions d’intérêt général « pour que la société n’explose pas », soulève Cécile Boullais, assistante sociale pour l’aide sociale à l’enfance. Et parfois la peur au ventre.

Travailleurs sociaux, ils témoignent :
Cécile Boullais, assistante sociale au conseil départemental de l’Eure : « Nous sommes le réceptacle d’une société qui va mal » : https://www.humanite.fr/travailleurs-sociaux-nous-sommes-le-receptacle-dune-societe-qui-va-mal-708296
Delphine Moretti, référente ASE à la Maison de la solidarité des Bouches-du-Rhône, membre de la CGT : « Je vois les conditions se dégrader depuis quelques années » : https://www.humanite.fr/travailleurs-sociaux-je-vois-les-conditions-se-degrader-depuis-quelques-annees-708299
Lionel Pastour, éducateur de jeunes enfants en internat à la Maison du Sacré-Cœur (Paris) : « Il faut être bien enraciné pour ne pas vaciller face à la violence » : https://www.humanite.fr/travailleurs-sociaux-il-faut-etre-bien-enracine-pour-ne-pas-vaciller-face-la-violence-708302
Yann Barlet, éducateur spécialisé à la Maison du Sacré-Cœur (Paris) et formateur : « La peur, très vite, le travailleur social y est confronté » : https://www.humanite.fr/travailleurs-sociaux-la-peur-tres-vite-le-travailleur-social-y-est-confronte-708305

mardi 25 mai 2021

Motion des élu.es CSE pour défendre les transferts d'été 2021

[Mise à jour au 28 mai] La Direction Générale a publié une note qui maintient les transferts, pour les MECS comme pour les ITEP et IME
 

jeudi 20 mai 2021

Entre horreur, tristesse et colère

Appel pour les libertés et contre les idées d’extrême-droite

    Depuis maintenant plusieurs mois nous constatons un climat politique et social alarmant. S’allier avec l’extrême droite ou reprendre ses idées ne constituent plus un interdit. Les propos et actes racistes et sexistes au travail et dans la vie se propagent.

    Les attaques contre les libertés et les droits sociaux s’accentuent gravement. Dans ce contexte politique, économique, social et sanitaire les injustices explosent et génèrent une forte misère sociale.
Plusieurs lois liberticides organisent une société autoritaire de surveillance et de contrôle qui invisibiliseront les violences policières, déjà trop importantes. De plus, si certaines de ces lois stigmatisent une partie de la population en raison de sa religion, d’autres en ciblent en raison de leur activité militante.
    Comme les signataires de l’appel pour les libertés et contre les idées mortifères de d’extrême droite (https://www.appelpourleslibertes.com), nous ressentons toutes et tous l’urgence de construire une réponse forte et unitaire qui dessine l’alliance des libertés, du travail et d’un avenir durable.

    Face à ce climat de haine, raciste et attentatoire aux libertés individuelles et collectives, nous avons décidé collectivement d’organiser le samedi 12 juin une première grande journée nationale de manifestation et de mobilisations qui se déclinera localement.

    Cette journée fait partie des initiatives unitaires qui se multiplient. D’ores et déjà, nos organisations syndicales, politiques, associations, collectifs, signataires de l’appel, ont décidé de co-construire ce combat dans la durée.

Les premiers signataires :

Syndicats : CGT, FSU, Union syndicale Solidaires, Syndicat des Avocats De France, Syndicat de la Magistrature, Unef, Unl, Fidl, FSE, Alternative, MNL, Confédération Paysanne, Union syndicale de la psychiatrie.

Asso et collectifs : Attac, LDH, FCPE, Fondation Copernic, Oxfam, Alternatiba, Amis de la terre Résilience commune, DAL, CNL (Confédération nationale du Logement), Emancipation collective, Rencontre des justices, MRAP, CRAN, Sos Racisme, comité justice pour ibo  QNQF, observatoire contre l extrême droite, Mrap, association ViSA, Femmes égalité, Collectif National pour les Droits des Femmes, Collectif féministe Les Rosies, Les effronté-es, AFPS,  Conseil démocratique Kurde France, FTCR, CRLDHT, UTAC, France Amérique Latine,  

Médias : Regards, L’humanité, Politis, Contre temps ;  

Organisations politiques :  Ensemble, Generations, La France Insoumise, GDS, Nouveaux Démocrates, NPA, Place Publique, les jeunes écologistes, JOC, MJCF (Mouvement des Jeunes Communistes), UEC, PEPS, Rassemblement Communiste, UCL


 

mardi 4 mai 2021

Covid-19 : les droits des résidants d’Ehpad « grandement entravés », juge la Défenseure des droits

Un rapport de l’autorité administrative met en cause les directions des établissements dans l’« augmentation de violations de la liberté d’aller et venir des résidants ainsi que de leur droit au maintien des liens familiaux ».

Il s’agit de rétablir leur « liberté ». La Défenseure des droits, Claire Hédon, consigne dans un rapport, mardi 4 mai, une soixantaine de recommandations alors qu’elle considère que le droit à une « vie privée et familiale » a été davantage entravé au cours de la crise sanitaire pour les résidants d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) que pour le reste de la population.

Ces six dernières années, 900 réclamations dénonçant les conditions et les modalités d’accompagnement médico-social des personnes âgées ont été adressées à cette autorité administrative indépendante, dont 80 % mettaient en cause un Ehpad.

Toutefois, les saisines et témoignages se sont accrus ces derniers mois du fait de la pandémie de Covid-19, dénonçant notamment « une augmentation, de la part des directions des établissements, de violations de la liberté d’aller et venir des résidants ainsi que de leur droit au maintien des liens familiaux », est-il précisé.

De nombreux exemples sont cités : réalisation de tests de dépistage sans consentement, maintien de restrictions de sorties pendant les périodes de déconfinement, interdiction des sorties à proximité, des visites de proches ou d’aidants familiaux pendant plusieurs semaines, impossibilité pour des familles de voir leur proche mort car immédiatement mis en bière, maintien des interdictions de sortie pour les résidants vaccinés…

« Un encadrement strict »
« L’examen de ces réclamations montre, de manière récurrente, des atteintes aux droits fondamentaux, au respect de la dignité et l’intégrité des personnes accueillies, insiste la Défenseure des droits, Claire Hédon. Le droit à la vie privée et familiale a donc été grandement entravé au cours de la crise sanitaire, et de façon bien plus importante pour les personnes résidant en Ehpad que pour le reste de la population. »

« La crise sanitaire a mis en évidence les difficultés, pour les pouvoirs publics, à concilier les enjeux de santé publique avec la nécessité d’une réponse appropriée aux besoins spécifiques des personnes âgées accueillies en Ehpad afin de préserver non seulement leur santé, mais aussi leurs droits et libertés », poursuit la Défenseure, regrettant une « difficile accessibilité et lisibilité » des normes en vigueur instaurées par le gouvernement.

« Les restrictions, qui peuvent être gravement attentatoires à la liberté, ne peuvent être laissées à la seule appréciation des directions d’Ehpad. Elles doivent faire l’objet d’un encadrement strict sur la base de l’égalité pour l’ensemble de la population », considère en outre l’institution.

Parmi les 64 recommandations du rapport figure la nomination systématique d’un « référent consentement », la fixation d’un « ratio minimal de personnels travaillant en Ehpad » établi à 0,8 effectif à temps plein (ETP) par résidant, ou encore de veiller à ce que les décisions liées au renforcement des mesures sanitaires soient « proportionnées » et prises « pour une durée déterminée ».


lundi 3 mai 2021

Précarité : le blues des travailleurs sociaux

Hausse des demandes, turnover important, effectifs réduits, travail de moins en moins axé vers l’accompagnement : depuis le premier confinement, les travailleurs sociaux évoquent une situation devenue «ingérable».

Un samedi matin à Champigny-sur-Marne, dans les locaux de l’association Claire amitié, qui vient en aide aux mères isolées et aux femmes précaires. Melissa (1), accompagnatrice d’insertion, a rendez-vous avec Sonia (1), mère célibataire avec 5 enfants à charge. La travailleuse sociale remplit un dossier pour sa demande de carte vitale et règle un problème de paiement de loyer. Sonia, originaire des Comores, ne maîtrise pas le français et ne peut réaliser aucune tâche administrative seule. Une heure plus tard, Melissa doit s’occuper d’une autre personne, elle se hâte. Sonia aura sa carte vitale, et le problème de loyer est réglé, mais Melissa n’est pas satisfaite. «Je n’aime pas créer de la dépendance chez les familles que j’assiste, mais avec le Covid, je n’ai plus le temps de les aider à être autonomes, de leur apprendre à remplir des papiers. Au lieu de les accompagner, je fais les choses à leur place.» 

Dans cette crise sanitaire, le temps est un luxe dont les travailleurs sociaux manquent. Dans un contexte où le taux de pauvreté a bondi – le nombre de bénéficiaires du RSA a grimpé de 7,5 % au 31 décembre –, beaucoup de Français se sont retrouvés en difficulté. Dès le premier confinement, les services d’aides sociales ont dû gérer un flot de personnes venues solliciter des aides pour payer leur loyer, avoir des soins d’urgence ou du soutien psychologique. «Il y a eu de nombreux publics qu’on n’avait pas pour habitude de prendre en charge. Ça a été très compliqué» se souvient Caroline (1), accompagnatrice sociale au centre d’action sociale de la ville de Paris (CASVP), dans le XVIIe arrondissement.


«On priorise dans la priorité»

Dans ces conditions de travail infernales, les travailleurs sociaux réclament plus de moyens humains. Or de nombreux services voient leurs effectifs se réduire. «Beaucoup de nos collègues sont dans un sale état. Certains, détachés pour soutenir d’autres services saturés, sont partis au bout d’un mois car ils ne tiennent plus», explique Simon Le Coeur, permanent à la CGT du CASVP. Dans les Yvelines, la CGT du conseil départemental a alerté les élus dans une lettre ouverte, évoquant un «manque d’effectifs et la hausse des demandes». Il en résulte, dit la lettre, que de nombreux travailleurs sociaux dans le domaine de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ont quitté leur poste pour cause de «conflit de valeurs, perte de sens du travail, manque de reconnaissance professionnelle, stress accru et épuisement professionnel», détaille la lettre. Le turnover est important : dans les colonnes du Parisien, le secrétaire général de la CGT du conseil départemental des Yvelines, Tristan Fournet, dénombrait mi-avril «150 départs pour 180 recrutements» dans l’ASE Yvelines depuis le début de l’année. «C’est comme ça dans tous les services, abonde Mélanie (1), assistante d’accueil dans un CASVP, du haut de ses sept années d’expérience. Dès qu’on voit des dysfonctionnements, il y a des vagues de départ et ceux qui restent rament.»

A Paris, Florence Pik, accompagnatrice sociale dans un service d’aide sociale à l’enfance depuis dix ans, n’y arrive plus. Elle prend en charge 95 personnes entre 18 et 21 ans, pour lesquelles elle propose une aide sociale globale – ouverture de droits, réinsertion dans le monde du travail, solution de logement. Une situation qu’elle estime «ingérable»«Quand on travaille avec des jeunes en rupture familiale, qui n’ont pas de famille et qui ont des besoins sociaux très importants, on priorise dans la priorité», raconte-t-elle, désemparée.

«De plus en plus d’administratif»

De surcroît, ces travailleurs sociaux assistent à la transformation de leurs actions avec «beaucoup moins de liens avec l’autre, d’aide qualitative, mais beaucoup plus de travail quantitatif», constate Mélanie. Cette transformation ne résulte pas uniquement de la crise sanitaire, puisque en 2015, la députée Brigitte Bourguignon, autrice d’un rapport sur le sujet, indiquait que le travail social est «de plus en plus associé à l’exécution de mesures administratives et de moins en moins à la créativité, à l’innovation et même à l’accompagnement». Une mutation que Florence Pik vit très mal. «Je passe mes journées à répondre au téléphone et à des mails. Et quand on rajoute le télétravail quelques jours par semaine, on voit tous les jours notre action glisser vers de plus en plus d’administratif et de moins en moins de travail social et de contact avec le public. Mon travail ne devrait pas se résumer à cela, je devrais passer plus de temps avec mes jeunes, pour mieux les comprendre et ainsi mieux les orienter.»

Pour Melissa, les premiers pénalisés par cette situation sont évidemment les publics qu’elle est censée aider. «Pour bien répondre aux besoins des personnes précaires, il faut apprendre à les connaître. Sans créer du lien, notre travail a moins de sens, pour moi mais aussi pour eux.»

(1) Les prénoms ont été changés.