Ce n’est pas faute d’avoir essayé de quantifier, de mesurer, de vérifier, mais rien à faire, on ne peut « rentabiliser » les pratiques de travail social. Pourquoi ? Charline Olivier en rédigeant une tribune publiée par Lien Social n°1296 dans « Paroles de métier » nous apporte quelques réponses. Elle constate que derrière l’invitation à évaluer, nos pratiques et nos résultats, nous avons tous découvert ces trois dernières décennies qu’il s’agissait surtout de financer et de gérer la pénurie… Car le sujet est toujours le même : travailler plus avec moins de moyens… Ou si vous préférez « à moyens constants »… Voici l’essentiel du texte de Charline :.« Jeune professionnelle à peine sortie du système scolaire où nous étions sans cesse évaluée sur nos compétences, je n’avais pas compris pourquoi mes collègues plus aguerries du Département s’étaient mises vent debout contre la question d’évaluer notre charge de travail au début des années 2000.–J’avais, pour ma part, été très sensible aux arguments de ma Direction qui nous vendait à l’issue de ce processus une meilleure répartition des charges et des dossiers sensibles. Qui refuserait une si belle affiche ? Il nous fut donc proposé de coter chacun de nos dossiers famille de 1 à 5 selon l’investissement personnel à fournir, les problématiques repérées, l’ampleur du partenariat à mobiliser… pour à terme les ventiler de façon mathématique et équitable sur l’ensemble de l’équipe.–Combien tu as de 5 ?Outre le temps infini qu’il nous fallut collectivement mobiliser pour arriver au bout de ce chantier titanesque, nous avons développé en plus la détestable habitude de demander régulièrement à l’une ou l’autre « tu as combien de 5 en ce moment ? Moi j’en ai 6 ! Et 8 de 4… ». Nous aurions concouru à l’Eurovision, nous aurions certes pété les scores, mais nous n’étions que des travailleurs sociaux débordés.–Une fois que nos dossiers ont été évalués, nous avons découvert la suite des réjouissances et l’apparition de nouveaux termes jusqu’ici inconnus dans nos contrées sociales : nous détenions dorénavant des portefeuilles de dossiers où l’on distinguait une file active de suivis et d’autres « en sommeil » qui justifiaient par leur honteuse léthargie de vous refourguer au passage quelques dossiers supplémentaires côtés 3 ou 4…–Les années suivantes curieusement (sic), nous avons été confrontés à des « redéploiements de moyens humains » sur le Département au nom de l’équité, noble argument s’il en est, et nous avons assisté impuissants à des réductions de personnels dans certaines équipes territoriales moins cotées en termes de charge de travail, pour renforcer d’autres services au bord de l’asphyxie.–Je ne suis pas médecin (même si en ces temps de COVID, cela pourrait être utile), mais si vous diminuez la fonction respiratoire à un organisme, il meurt plus ou moins lentement. Alors si en plus, au passage, vous l’humiliez en suggérant que 30% de l’équipe est là pour faire le café, vous accélérez bien le processus.–Le travail social n’est pas là pour produire des camembertsJe vais enfoncer une porte grande ouverte, mais disons-le quand même : le travail social n’est pas rentable et ne le sera jamais, pas plus que la santé publique ou l’éducation. Nos métiers se fondent sur le désir de rencontrer un autre, différent ou semblable, vulnérable parfois, en attente presque toujours. Se rencontrer ne se qualifie pas, ne se cote pas de 1 à 5 et ce n’est pas malheureusement pas une matière exploitable à présenter en forme de camembert à la prochaine Assemblée Générale. Cela n’a pas de valeur ni de prix, mais cela se raconte et se transmet.–Amis travailleurs sociaux, à nos plumes ! Racontez-nous ce qui ne peut se quantifier, se classer et se catégoriser dans cet univers froid du résultat qui nous met tous et toutes en concurrence.–Charline Olivier
jeudi 3 juin 2021
Pourquoi le travail social n’est pas rentable ?
Pris sur Ecrire pour et sur le travail social
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