jeudi 1 septembre 2022

Un texte de Didier Dubasque : "De retour de vacances, une bonne résolution : prévenir le stress professionnel qui vous guette…"


Revenant de vacances, vous êtes, à priori, en forme pour reprendre le travail. Mais face à l’ampleur des tâches et du nombre de messages mails que vous devez « ingurgiter » et traiter à votre retour, il apparait utile de prendre vite de bonnes résolutions pour lutter contre ce que l’on appelle le stress professionnel. C’est une réalité que rencontrent beaucoup plus de travailleurs sociaux qu’on ne le pense. Nous sommes tous concernés et, même si cela peut affecter toutes les catégories de salariés et de dirigeants, les professionnels de l’aide et du soin sont souvent en première ligne sur ce sujet…

Nous serions, en France, champions du stress au travail, une bonne raison de s’en protéger. Cadremploi rappelle que quelques chiffres permettent de bien comprendre l’ampleur du phénomène. 480 000 personnes en France sont en situation de détresse psychologique au travail, selon l’Institut de veille sanitaire. 30.000 seraient même en burn-out. Plus inquiétante encore, l’étude du cabinet Technologia révélant que 12 % de la population active présenterait un risque de burn-out. Alors si vous pensez être concerné par la pression au travail, sachez que vous n’êtes pas seul dans ce cas et que des solutions existent.

L’une des bonnes résolutions de la rentrée que vous pouvez prendre (outre arrêter de fumer ou de faire du sport) pourrait être de refuser de se laisser emporter par le stress professionnel. Oui, mais comment ? Certes, cela est facile à dire, mais souvent les facteurs de stress sont exogènes. Peut-on alors agir pour éviter de succomber à ce mal qui pertube votre personnalité ? Sachez d’abord que si le burn out apparaît dans la classification internationale des maladies de l’OMS (Organisation mondiale de la Santé), il n’est pas considéré comme une maladie. L’OMS le décrit comme “un syndrome résultant d’un stress chronique au travail qui n’a pas été géré avec succès. ” Il faudrait donc, pour éviter le burnout, savoir gérer ce que l’on appelle le stress qui nous envahit lorsque l’on est sous pression ?
C’est dans le secteur de la santé et du social qu’on en souffre le plus

C’est confirmé depuis 2017, le secteur le plus touché par le stress est celui de la santé humaine et des actions sociales. Pas moins de 42% des salariés du soin, qu’il soit médical ou social, disent ressentir des « tensions extrêmes ». C’est énorme quand on mesure l’ampleur du phénomène. C’est en tout cas une raison supplémentaire de s’en protéger. OK, mais comment ?
Savoir s’écouter

Curieusement, pendant les vacances, vous n’avez plus mal au dos, ou plus d’aigreur d’estomac. Les « petits » symptômes dont vous souffrez habituellement dans l’année ont soit disparus, soit se sont fortement atténués. C’est un signe. Les symptômes peuvent être multiples. Vous pouvez anormalement vous sentir fatigué malgré vos efforts alors que tout allait bien pendant les vacances…

Il vous faut pouvoir repérer les signes qui révèlent une certaine pression au travail. Parmi les signes de stress professionnel susceptibles de vous orienter dans ce sens figurent les troubles du sommeil. Cadremploi explique aussi que le fait par exemple de penser au travail dès le réveil en consultant vos mails avant toute chose doit vous alerter. Vous pouvez aussi avoir les nerfs à vif, être facilement agacé pour ne pas dire plus. Irrité à la moindre remarque, quand on est stressé, on a tendance à surréagir. Là aussi, c’est un signe et si vos collègues vous regardent bizarrement ou hésitent à vous parler, il y a peut-être quelque chose de cet ordre qui se passe.
Savoir réagir

Là aussi, l’exercice est difficile. Quand de nombreux salariés sont sous pression au sein d’une même entité, il y a le risque que le phénomène s’aggrave. Il vous faut apprendre à différer certaines tâches, à dire non. J’ai connu des collègues qui, avec le souci de bien faire, amenaient du travail à domicile le week-end, comme certains travailleurs sociaux de l’Aide Sociale à l’Enfance qui utilisaient le samedi pour rédiger des rapports qu’ils n’avaient pas eu le temps de faire en semaine étant accaparés par d’autres tâches.

Il vous faut absolument éviter que le travail s’insère dans votre vie personnelle. Voilà une bonne résolution à prendre si vous entrez dans cette catégorie des salariés qui travaillent sans compter leur temps. Lorsque le rythme de travail est si soutenu que vous devez systématiquement réaliser des heures supplémentaires, voire travailler le dimanche, c’est soit que les effectifs sont insuffisants, soit que vous ne vous faites pas suffisamment confiance ou encore qu’il y a un problème de management. Dans ce cas, il faut savoir refuser toute nouvelle situation confiée par votre supérieur. Il n’est pas honteux de s’en expliquer en rappelant que vous avez des limites et que vous ne pouvez faire plus que ce qui est raisonnable. (même si pour certains le raisonnable serait de travailler tout le temps ou presque).
Tenir un journal de bord

C’est ce que j’ai pour ma part expérimenté par le passé et je peux vous dire que cela m’avait bien aidé. Ce journal me permettait de noter ce que j’avais fait dans une journée et évitait que je m’éparpille. Il me permettait de prendre du recul et de me rendre compte que, non, je n’avais pas « rien fait d’efficace », mais qu’au contraire, j’avais résolu un tas de petits problèmes imprévus et non programmés. Ce carnet, très personnel (donc non communicable) était un outil qui me permettait aussi de rendre compte facilement de mon travail. Il me prenait 5 minutes en fin de journée.

Grâce à ce journal de bord, j’avais empêché ce sentiment de ne pas avoir travaillé correctement m’envahir et résisté à cette culpabilité forte en travail social qui laisse supposer que l’on en fait jamais assez.
Développer les groupes d’analyses de la pratique et se soutenir mutuellement

En écrivant ceci, je pense au message que j’ai reçu récemment de Jean Pierre Teycheney suite à un récent article. Parmi les réponses possibles, écrit-il, « il y a les groupes d’analyse des pratiques entre pairs, qui pour toutes les raisons suivantes gagneraient à être systématisés dans les services ». Il a bien raison. Il ajoute qu’il y a plusieurs aspects à prendre en compte avec :

     Une approche chaleureuse et compréhensive envers soi-même. C’est exactement ce que garantit dès la première seconde de travail collectif l’animateur de séances d’analyse des pratiques
    Le sens de l’humanité. « Vous n’êtes pas la seule personne à vivre cela ». Chaque mise en commun de situations vécues par les participant(e)s révèle clairement que ce que l’on croyait « n’arriver qu’à soi », arrive en réalité tout le temps à tous les collègues !
    Devenir conscient de quand vous percevez le stress. De séances en séances, c’est bien ce qui se passe : une mise à distance, une prise de recul par rapport aux événements. Et ce qui est très important, c’est qu’il s’agit bien d’une mise à distance des événements, et pas de la relation aux personnes accompagnées, avec lesquelles nous pouvons continuer à développer l’empathie indispensable à l’accompagnement.

 

Il y a donc bien des réponses possibles pour faire face au stress ambiant. « Cela dépend de nous (travailleurs sociaux, en demandant, argumentant, pour des séances d’analyse des pratiques, et une fois qu’elles sont acquises en se rendant disponibles pour y participer activement et sincèrement) et de nos institutions (convaincues du bien fondé de ce dispositif et de son utilité malgré le coût) ».

Concluons, avec le moniteur acadien qui a récemment écrit sur l’art et la manière d’éviter un épuisement professionnel. il nous indique 3 possibilités d’agir pour réduire les risques.

    Se mettre des limites : dire non à quelqu’un peut être difficile, mais n’aillez pas peur de dire non pour vous. Que ce soit ne pas répondre aux appels du travail après vos heures de bureau ainsi que des courriels et prendre des jours de congé de temps en temps pour vous remettre sur pied.
    Ne pas avoir peur de demander de l’aide : demander à un professionnel qui vous aide à trouver des manières pour gérer le stress que vous passez à travers dans votre journée.
    Changer votre façon de voir la vie : parfois, nous devons changer notre façon de penser pour passer au travers le stress professionnel. Nous devons déterminer ce que nous pouvons contrôler et ce que nous ne pouvons pas contrôler. Si nous ne pouvons pas le contrôler, pourquoi stresser à ce sujet ? Vous ne pouvez rien faire de toute manière. Cela vous permet de fixer des priorités avec des objectifs que vous vous assignez qui sont atteignables.

Il n’y a pas de fatalité.

Si vous êtes malheureux au travail, une autre solution consiste à en changer. Cela permet de repartir d’un bon pied. En ces périodes de tension et de manque de personnel, vous n’aurez sans doute pas de mal à en trouver un qui vous convienne. Si vous ne pouvez démissionner, vous pouvez demander à changer de poste. Là où la pression est moins grande. C’est bien ce qui se passe à l’aide sociale à l’enfance. Le travail est dur émotionnellement, mais aussi en termes de charge de travail. Si nos employeurs ne le voient pas et ne prennent pas des mesures, qu’ils ne soient pas étonnés de la désaffection des travailleurs sociaux pour cette mission. (Le travail à l’ASE n’est cité ici qu’en exemple, car bien évidemment également ce travail reste essentiel et passionnant).

En tout cas, je ne peux que vous souhaiter bon courage et bonne rentrée !

mardi 30 août 2022

Appel national social et médico-social pour le 22 septembre

Comme nous l'évoquions dans notre tract de rentrée, le 22 septembre est une date de mobilisation pour le social et le médico-social ! Voici le tract de l'UFAS CGT :

Nos collègues des EHPAD sont aussi appelés à la grève et la mobilisation (le tract spécifique est ici)

mercredi 24 août 2022

A propos d’une « perte de sens » dans les métiers de l’humain


 A moins d’être aveugle et sourd, il serait difficile de ne pas voir et entendre le malaise qui sape l’ensemble des métiers de l’humain, c’est-à-dire ceux de la santé, de l’éducation et de la solidarité. Un malaise dont la cause a longtemps, et avec juste raison, été imputée à une réduction drastique des moyens financiers et humains accordés à ces champs d’activité ; une réduction d’autant plus destructrice qu’elle a été appliquée de manière systématique par tous les gouvernements successifs depuis le tournant de la rigueur de 1983. Le Ségur et son mode d’application inique n’étant, au final, qu’un symptôme de cette lente décomposition.

A cette crise budgétaire s’ajoute désormais une crise du sens à l’exercice de ces métiers dont le manque d’attractivité et les difficultés de recrutement ne sont que, là encore, de bruyants symptômes. Pour avoir dénoncé en son temps, notamment dans Être éducateur dans une société en crise (éditions ESF, 1998) et autres articles par la suite, les impacts ravageurs de ces politiques d’austérité, je souhaite consacrer cette réflexion à la notion de « sens » et plus exactement de « perte de sens » dans les métiers de l’humain. Que signifie-t-elle ? Que vient-elle dire ? « On parle souvent du sens de telles ou telles affaires humaines, du sens de la vie, de l’histoire, de différentes institutions, du sens de la démocratie, etc., sans définir ni même essayer de définir le concept de sens comme tel – manifestement parce que, si l’on éprouve le besoin d’un tel concept, on le considère d’autre part comme allant de soi. Le besoin de ce concept tient au fait que toutes ces choses sont problématiques et requièrent une explication… » (Jan Patocka, Essais hérétiques, p.93). Or, dans ces mêmes Essais hérétiques sur la philosophie de l’histoire, Jan Patocka propose trois leviers de réflexion pour mieux saisir cette notion de « sens » (1) ; lesquels, ramenés au champ de préoccupation qui est le nôtre, peuvent aider à mieux comprendre la cause et les enjeux du malaise affectant les métiers de l’humain.

mardi 16 août 2022

Pourquoi la CGT n’accepte pas que les salarié.es soient appelés « collaborateurs » ?




Le DRH : – Bonjour Madame l’Inspectrice du travail, je vous présente mes collaborateurs...

L'Inspectrice du travail : – Ah, vous avez des gens extérieurs à l’entreprise, ils ne sont pas déclarés ?

– Mais non, bien sûr, ils sont salariés. Ici, dans l’entreprise, bien sûr.

– Pourquoi vous les appelez collaborateurs ?


– Mais on les appelle comme ça, ce sont des collaborateurs…

– Mais, Monsieur, vous savez ce qui caractérise un contrat de travail, c’est un « lien de subordination juridique permanente ». Je parle en droit. Tout salarié est "subordonné". On ne peut à la fois être "collaborateur" et "subordonné"

– Madame l’Inspectrice on les appelle ainsi, par respect, pour les associer…

– Monsieur, le mot "collaborateur" n’existe pas une seule fois dans le Code du travail, restez donc sur un plan juridique, c’est clair : un "salarié" !
 
 – Mais enfin Madame l’Inspectrice, on a le droit d’appeler nos… nos collaborateurs comme on veut.
 
– Monsieur, vous faites de l’idéologie. S’il vous plait, pas avec moi.
 

– Comment ça ?
 
– C’est de l’idéologie que d’appeler un salarié "collaborateur". Ça peut faire croire, qu’il est sur un pied d’égalité avec vous dans son contrat mais ce n’est pas le cas. C’est parce qu’il est subordonné qu’il a des droits. Le code du travail, c’est la contrepartie à la subordination. Supprimer la notion de subordination, ça enlève la contrepartie. Ça fait croire que dans l’entreprise, tous ont le même "challenge", le même "défi", sont dans le même bateau. Jusqu’à ce que le patron parte avec le bateau et que le salarié reste amarré sur le quai au Pôle emploi, et il s’aperçoit alors qu’il n’était pas collaborateur mais bel et bien subordonné…Le patron et le salarié n’ont pas les mêmes intérêts. L’un cherche à vendre sa force de travail le plus cher possible, l’autre veut la lui payer le moins cher possible.
 
– Là, Madame l’Inspectrice, c’est vous qui faites de l’idéologie !
 
– Vous croyez ? Le Medef veut remplacer la "subordination" par la "soumission librement consentie" ("compliance without pressure") il espère comme ça enlever toute "contrepartie", puisqu’il y aurait "collaboration" il n’y aurait plus besoin de droits. Il remplacerait le contrat de travail signé entre deux parties inégales par un contrat entre deux parties présumées égales c’est à dire par un contrat commercial. Tous uber, Tous Deliveroo. Tous Ryan Air... un peu comme votre Nexem qui veut des salaires individualisés, "à la tête du client", et surtout moins de droits sociaux ! Donc, les mots ont une importance cruciale, je propose d’arrêter tous les deux, Monsieur le DRH, et pour nous départager, de nous en tenir au droit du travail tel qu’il existe encore, au seul état de droit dans l’entreprise, donc on parle de "salariés" désormais. Uniquement.
 
– Bien mais c’est dommage, j’utilise "collaborateur" parce que c’est valorisant…
 
– C’est vous qui le dites ! Vous ne vous demandez pas pourquoi on n’a pas mis le mot "collaborateur" en 1945-46 dans le code du travail ?
 
– C’est une question de génération… On n’a pas le même sens pour le même mot…
 
– C’est certain. "Collaborateur", c’est marqué d’infamie. On n’a donc pas la même approche. Allez, n’en parlons plus, mais encore une fois, tenons-en nous au droit : appelez vos salariés des salariés.