Par Fatiha Boudjahlat
La loi de 2005 instaurant le droit des élèves porteurs de handicap à être scolarisés dans l'établissement le plus proche de leur domicile permet en réalité de laisser perdurer l’insuffisance des instituts médicalisés et de l’accueil en hôpital de jour.
Tribune. L’école est désormais inclusive, intégrant des élèves porteurs de handicap ou à «besoins éducatifs particuliers». La loi de 2005 instaurait le droit de chacun de ces enfants à être scolarisé dans l’établissement le plus proche de son domicile, en fonction des capacités d’accueil et d’adaptation de l’enfant. Cette loi a été «améliorée» en étant délestée de ces deux conditions. Dans les faits, l’inclusion se traduit surtout par une politique d’austérité. Ces enfants étaient auparavant pris en charge par un enseignant spécialisé au sein de classes à très petits effectifs, les Ulis (unités localisées pour l’inclusion scolaire). Ces classes sont devenues des dispositifs. Pour tout habitué de la novlangue de l’Education nationale, un dispositif est ce que l’on met en place quand on veut transférer la charge de travail à moindre coût. Les enseignants spécialisés sont désormais des référents qui font de la gestion de ces enfants intégrés en classe ordinaire avec des moyens ordinaires.
«Pas d’objectif de réussite pour ces enfants»
Dans mon collège classé REP, ils sont dans des classes de 27 élèves en 6e. Dans une école maternelle de l’est toulousain, l’inclusion se traduit par cette maman qui appelle la directrice pour scolariser pour la première fois son fils de 4 ans et demi, autiste non verbal, sujet à de la violence et qui n’est pas encore propre. Elle s’offusque de la réticence de la directrice alors qu’il n’y a pas d’adulte accompagnant. Qui changera l’enfant ? Que faire des autres alors que son fils requiert un accompagnement et une surveillance de tous les instants ? Au lycée ? Dans celui des Arènes, à Toulouse, un lycéen autiste Asperger et dyspraxique est intégré à une classe de seconde de 36 élèves, sans accompagnant non plus.
L’inclusion permet de laisser perdurer l’insuffisance des instituts médicalisés et de l’accueil en hôpital de jour, avec des listes d’attente décourageantes. Et les parents épuisés, qui ont aussi leur vie à vivre et à gagner, ou qui rêvent de normaliser le handicap de leurs enfants, s’en satisfont. Les accompagnants d’enfants porteurs de handicap, payés 750 ou 950 euros, ne sont pas en nombre suffisant. Quand nous avons dénoncé cette situation, on nous a répondu qu’il suffisait de mutualiser les moyens, l’adulte aidant pouvant s’occuper en même temps… de quatre enfants porteurs de handicap. Il nous a aussi été dit qu’«il n’y a pas d’objectif de réussite pour ces enfants». Qu’il s’agit juste «de les sociabiliser, de les exposer à un bain et qu’ils en retirent un ou deux mots» ! C’est de la violence institutionnalisée. Comment pourrions-nous accepter de traiter des élèves comme des plantes vertes ? D’être indifférents à leur compréhension des cours ?
L’éducation, un marché comme les autres ?
Le dispositif Ulis doit être présent dans chaque école et collège. Etrangement, il ne l’est pas dans le collège public chic du centre-ville de Toulouse, et presque pas dans les écoles privées du département. Dans ces écoles, les parents sont mieux considérés par le rectorat qui en a peur. Leurs gosses à eux sont là pour travailler dur et apprendre. Les écoles privées (sur)subventionnées à hauteur de 10 milliards d’euros d’argent public par an ont les mêmes obligations d’accueil mais, dans les faits, elles savent décourager les parents de ces enfants.
La finalité sera de faire du service public de l’éducation un marché compétitif et concurrentiel : «La mise en place d’un modèle d’école obéissant bien davantage aux lois du marché dépendra vraisemblablement […] d’un profond sentiment de mécontentement à l’égard des services en place parmi les "consommateurs stratégiques", en particulier les parents de la classe moyenne instruite et les partis politiques […]. De grands écarts de performances scolaires renforceraient les critiques, tandis que l’instauration à grande échelle du "modèle de marché" dans le système scolaire irait en soi de pair avec la tolérance par la société d’un certain niveau d’inégalité» (1). Nous sommes en train d’applaudir à une école à plusieurs vitesses, avec une école publique réduite en volume et n’accueillant plus que les élèves des familles captives, socialement défavorisées, ou ayant des élèves porteurs de handicap, tandis que tous les autres seraient accueillis dans des écoles privées.
Cette rentrée signe l’institutionnalisation de la maltraitance et du recours à l’alibi de l’inclusion pour complaire aux parents sans engager les moyens indispensables aux progrès de chaque enfant. Et à ceux qui souscrivent au prof-bashing et qui signaleront que le budget de l’Education nationale reste le premier de l’Etat, je leur demanderai de me dire combien d’argent est consacré aux moyens humains, aux adultes présents dans les écoles, auxiliaires de vie scolaire (AVS), assistantes sociales, infirmières. Quel est le nombre d’élèves par prof ? Et combien d’argent sert à la communication, aux raouts mêlants entreprises privées et ministère, aux chargés de mission, au service national universel (SNU), aux lubies des pédagogues ? Les tablettes tactiles mais aussi ces bureaux dotés de pédaliers qui sont installés dans les collèges populaires, pas à Henri-IV. La ludification, étrangement, n’est destinée qu’aux enfants des classes populaires. Dans les écoles chics accueillant les enfants des «consommateurs stratégiques», on ne distrait pas, on bosse pour de vrai.
(1) Rapport de l’OCDE de 2001, Quel avenir pour l’école ?
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