mercredi 20 février 2019

Educ spé : le nombre d’étudiants en baisse

Article - Le Media Social Emploi

Les effectifs de la filière du diplôme d’éducateur spécialisé sont en recul, avec moins de candidats à l’entrée en formation et plus d’étudiants qui abandonnent. 

Un recul général...

En 2017, 13 900 élèves étaient inscrits dans l’un des 85 établissements dispensant une formation d’éducateur spécialisé, dont 4 300 en première année, recense la Drees dans une étude publiée en février 2019.

Le nombre de diplômés s'est par ailleurs élevé à 4 100 la même année, en baisse de 10 % en cinq ans, "ce qui s’explique en partie par un recul du nombre d’inscrits en première année depuis plusieurs années", rappelle la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, qui avait déjà dressé ce constat dans des études précédentes.
  
... depuis plusieurs années

Entre 2009 et 2014, le nombre d’étudiants dans la filière préparant au diplôme d’Etat d’éducateur spécialisé (DEES) a reculé de 3,5 %, avançait déjà la Drees en février 2016. Plus généralement, elle avait aussi enregistré, dans une autre étude publiée fin 2016, une baisse de 7 % des étudiants inscrits dans les formations sociales entre 2010 et 2015.

Certes, les effectifs totaux des travailleurs sociaux étaient alors présentés comme "nettement plus élevés en 2015 que 10 ans auparavant" (+ 14 %). Mais ce constat est lié à une hausse très importante des formations préparant aux fonctions d’encadrement (+ 322 % pour le Caferuis, + 79 % pour le Cafdes), tandis qu'augmentaient aussi, mais dans de moindres proportions, les filières d’éducateurs de jeunes enfants (EJE), de conseillers en économie sociale familiale (CESF) et de moniteurs-éducateurs.

Des étudiants qui décrochent

"Cette baisse des effectifs [des éducateurs spécialisés en formation], je la constate encore plus en cours de formation avec des étudiants qui décrochent, soit parce qu’ils sont trop jeunes –  en 2010, la moyenne d’âge était de 25 ans, elle est de 21 ans aujourd’hui, avec une grande partie des étudiants sortant du bac et ayant une idée assez éloignée de ces métiers –, soit parce que leur projet professionnel n’est pas assez mûr", témoigne André Mvogo, directeur des études à l’IRTS Parmentier, à Paris.

Il avance aussi une autre raison possible à cette tendance : la "concurrence" d’un certain nombre de formations universitaires. C'est le cas, en particulier, de licences professionnelles "dont les titulaires ont des profils qui peuvent intéresser des employeurs du secteur et qui peuvent assurer, dans certaines structures associatives, des fonctions normalement remplies par des assistants de service social ou des éducateurs spécialisés".

Une image brouillée

Et ce, alors que "les éducateurs spécialisés sont de plus en plus en position de coordination et de moins en moins d’accompagnement. Cela brouille l’image du métier qui est en pleine mutation et, du coup, les jeunes ne savent pas toujours très bien se situer", analyse pour sa part Jean-Marie Vauchez, président de l’Organisation nationale des éducateurs spécialisés (ONES).

Il déclare par ailleurs ne pas pouvoir s’empêcher de voir "une corrélation entre la baisse du nombre de candidats et la difficulté des jeunes professionnels à entrer dans l’emploi et à trouver un emploi pérenne, dans un contexte de tension de plus en plus importante sur les budgets". Des restrictions qui ont des répercussions sur les conditions d’exercice du métier, de plus en plus tendues, qui pourraient décourager les prétendants.

A noter enfin que, depuis janvier 2019, les candidats à la formation au DEES doivent s'inscrire sur Parcour Sup.

Souffrance au travail : oubliez le psychologue !.

Les risques psychosociaux ont été instrumentalisés et ont masqué l’enjeu politique des conflits en entreprise, selon la psychologue du travail Lise Gaignard

Entre 2007 et 2014, la psychologue du travail Lise Gaignard rédige des chroniques à partir d’entretiens menés dans son cabinet. Elle souligne les phrases les plus affligeantes, les retape, et change les prénoms. Aujourd’hui réunis dans un ouvrage, Chroniques du travail aliéné, ces textes sont poignants : la psychanalyste a du mal à relire son livre. Elle n’est pas la seule : « On m’a reproché de dire du mal des travailleurs », raconte-t-elle.
Si son texte suscite des réactions vives, c’est qu’il critique la dépolitisation de la souffrance au travail : à ses yeux, le changement le plus frappant dans le monde du travail en France n’est pas « la transformation – pourtant importante – des modes de management, ni les catastrophiques techniques d’évaluation pipées, ni la mondialisation. Pour moi, la différence majeure, c’est qu’en France, quand on est victime d’une injustice épouvantable au travail… on demande à aller chez le psy ! ».
D’après la psychologue du travail, c’est en 1998 que tout commence, avec la sortie de Souffrance en France, de Christophe Dejours, et Le Harcèlement moral, de Marie-France Hirigoyen. Deux ouvrages qui connaissent un succès retentissant : « Soudainement, tout le monde est harcelé, tout le monde a un pervers narcissique dans son entourage ! Le ministère du travail va même introduire le harcèlement moral dans la loi de 2002. » Lise Gaignard n’a pas de mots tendres pour cette loi qui « arrange les entreprises : pendant qu’on consulte sur les risques psychosociaux, on ne s’interroge pas sur les modalités de production ».

« Le problème n’est pas médical, il est lié au travail »

Les risques psychosociaux auraient-ils été instrumentalisés ? En tout cas, de nombreux médecins se plaignent d’avoir à régler des problèmes qui relèvent du management plus que de la santé. « Quand on a commencé à parler de harcèlement, c’était miraculeux : finalement, on comprenait ce qui se passait, on pouvait s’en prendre au pervers narcissique », se souvient Fabienne Bardot.
Mais cette médecin du travail porte aujourd’hui un regard plus amer sur la question, et refuse de mettre ses patients en inaptitude médicale. « C’est ce que tout le monde leur dit de faire, et c’est grave ! Le problème n’est pas médical, il est lié au travail. Je préfère la rupture conventionnelle : au moins, c’est le salarié qui la demande, qui décide de mettre un terme à une situation qui ne lui convient pas. »
Une façon de lutter contre l’hypocrisie d’une société qui gomme les conflits sociaux pour ne pas avoir à les aborder : « On ne dit plus un salarié, on dit un collaborateur, comme si dans l’entreprise tout le monde était égal. On ne dit plus licenciement, mais plan de sauvegarde de l’emploi. Même après les attentats du 13 novembre, on ne parle que de la souffrance des gens ! On met en place des cellules d’urgence, mais personne ne se demande comment on a pu produire des monstres pareils. »
« […] On utilise le psychologue pour faire du contrôle social, pour adapter les humains à des contextes hostiles ! »
Si la psychologisation de la souffrance au travail s’est autant développée, c’est aussi qu’elle constitue une niche rémunératrice pour les médecins, consultants et experts qui se sont spécialisés sur la question. « Même les syndicats envoient les salariés chez le psy ! La souffrance ne pousse plus à l’action, elle est vécue de façon individuelle et désespérante », regrette Anne Flottes, auteur de Travailler, quel boulot ! Les conflits du travail, enjeux politiques du quotidien.
« Bien sûr qu’il y a des gens qui vont mal et que le travail joue un rôle majeur dans ce malaise. Sauf qu’on utilise le psychologue pour faire du contrôle social, pour adapter les humains à des contextes hostiles ! », renchérit la professeure de psychologie sociale Pascale Molinier.
Le psychologue Yves Clot parle d’une approche hygiéniste des risques psychosociaux, qui transforme la fragilité des situations en fragilité des personnes. Stress, burn-out, pervers narcissique, sont des termes qu’il prend avec beaucoup de recul : « Le vocabulaire est glissant parce qu’il traduit une angoisse sociale d’appeler les choses par leur nom. Il y a quelque chose de profondément déréglé dans le travail. On assiste alors à une obsolescence programmée des mots. On passe des plans d’action contre les risques psychosociaux à la qualité de vie au travail, et pendant ce temps les symptômes s’aggravent. »

L’impossibilité du travail bien fait

Le cœur du problème est ailleurs. Il se trouve dans l’impossibilité du travail bien fait. Des personnes qui souhaitent travailler dans les règles de l’art se heurtent à des organisations qui sacrifient la qualité du travail, dans tous les secteurs : l’industrie, les services ou encore le milieu universitaire. Ces conflits de critères refoulés viennent s’enkyster dans le corps et la tête de chacun.
Le problème devient alors personnel, mais il est politique dans ses causes, tout comme dans ses conséquences. L’auteur de Le travail peut-il devenir supportable ? évoque le cas Volkswagen, « une organisation du travail qui fonctionne comme la Corée du Nord : on ne peut pas parler sous peine d’être éliminé, et on finit par abîmer l’entreprise, ainsi que la planète. Et là, on accorde aux salariés le droit de faire des aveux : c’est le comble de la perversion politique ! On les contraint à ravaler leur expérience, et quand on arrive au drame on leur demande de confesser des tricheries qu’ils ont été amenés à faire justement parce que la parole était censurée. »

Margherita Nasi