jeudi 18 février 2021

Un nouveau logiciel de collecte de données inquiète les éducateurs spécialisés

Article de Mediapart du 18 février 2021

Par Emmanuel Riondé

Présenté comme un outil de « valorisation » des actions de prévention, le logiciel permet la collecte d’informations sur les jeunes. Il suscite l’inquiétude de bien des éducatrices et éducateurs intervenant sur le terrain.


Toulouse (Haute-Garonne).– « Quand je l’ai ouvert, j’ai pris une petite gifle, ça m’a fait peur, j’ai attendu un peu avant d’y revenir. » Pour A., éducateur de rue toulousain*, la découverte, mi-février, du nouveau logiciel de recueil de données actuellement à l’essai dans les clubs de prévention de la métropole a été un choc.

Il estime, comme nombre de ses collègues, que la mise en place de cet outil risque de conduire la prévention spécialisée sur une ligne de crête par rapport à ses principes fondamentaux : libre adhésion, respect de l’anonymat, absence de mandat nominatif et non-institutionnalisation.

Ce logiciel offre la possibilité aux éducateurs de documenter leurs actions de terrain mais aussi de recueillir des informations sur l’état civil des jeunes rencontrés et de remplir des items tels que « santé mentale », « comportement en institution scolaire », « relation à la famille », « rapport à la loi » ou « estime de soi ».
Pour Daniel Dose, membre du bureau du Comité national de liaison des acteurs de la prévention spécialisée (CNLAPS), où il pilote la mise en place du logiciel, il s’agit avant tout d’« un outil de valorisation auprès du public pour donner à voir la logique d’accompagnement, mais aussi de valorisation institutionnelle ». Le CNLAPS, acteur majeur du secteur, est une « tête de réseaux » en étroite relation avec les pouvoirs publics.

Encore intitulé « Logiciel de recueil de données » – « mais on va changer le nom », assure Daniel Dose –, cet outil façonné depuis trois ans, et dont la mise en place a été confiée au prestataire informatique Formasoft, est proposé aux adhérents du CNLAPS, soit plus d’une centaine de structures. Il est actuellement en phase finale d’essai notamment en Moselle, à Marseille, en Corse et à Toulouse. Selon les endroits, il devrait entrer en fonction dans les semaines ou les mois à venir.

Pour G.*, éducatrice à Toulouse, ce logiciel « pose un vrai problème si on le met en relief avec la réalité de notre pratique ». Historiquement, la prévention spécialisée est exercée par des « éducateurs de rue » qui interviennent sans mandat nominatif et hors cadre judiciaire ou administratif, pour « permettre à des jeunes en voie de marginalisation de rompre avec l’isolement et de restaurer le lien social », résume le CNLAPS. Un travail de déminage mené auprès de publics socialement fragilisés et pouvant potentiellement basculer dans la délinquance.

Une démarche « si intrusive »

« Notre rapport aux jeunes est fondé sur la libre adhésion, explique G. On les voit parce qu’on se rencontre et parce qu’ils le souhaitent, pas parce qu’ils le doivent. Personne n’est obligé de venir me voir. Ma posture d’éducatrice est totalement basée sur la confiance. Et je refuse d’utiliser cette confiance pour nourrir une démarche si intrusive. »


Une réserve à laquelle Daniel Dose, qui dirige par ailleurs un service de prévention en Moselle, oppose le fait que des éducateurs ont participé à la conception de l’outil. « Nous sommes dans la dernière phase de retour sur les fonctionnalités et les contenus, ajoute-t-il. Il est proposé dans la même version à tout le monde mais les structures pourront ajouter ou retrancher des items, en fonction de leurs activités spécifiques. » Où vont aller les données recueillies ? « Chaque structure sera propriétaire de ses propres données », répond-il, avant d’assurer que le CNLAPS et son logiciel sont « au clair avec le règlement général sur la protection des données (RGPD) ».
Contactée, la CNIL assure « ne pas avoir vu passer » ce logiciel. Rien de surprenant puisque beaucoup des autorisations qui devaient auparavant lui être soumises ont disparu. Mais « on peut intervenir a posteriori pour s’assurer du bon respect du RGPD », prévient-on.

À Toulouse, où les services de prévention sont en régie directe de la métropole, la question de la destination des informations recueillies est particulièrement sensible. « Les informations ne sortiront pas du service et même le responsable de service aura seulement accès aux données générales, pas aux données nominatives », promet-on du côté de la métropole, tout en soulignant que « le logiciel est actuellement testé et son déploiement prévu pour le 1er semestre 2021, ça laisse le temps d’ajuster. Nous avons été alertés des questionnements de certains travailleurs sociaux, nous en tenons compte ».

Même tonalité rassurante du côté de l’ADDAP 13, association de prévention spécialisée travaillant sous l’égide du département des Bouches-du-Rhône. « On a commencé à utiliser ce logiciel depuis un mois. Il y a eu des questionnements et des réticences mais globalement, ça a été bien reçu par l’équipe, raconte Clotilde Bertrand, directrice d’un service de prévention spécialisée dans les quartiers nord de Marseille. De fait, beaucoup se sont enquis de cette question de la sécurisation des données. Mais chaque éducateur a un code d’accès et peut seul accéder à l’ensemble des infos qu’il a lui-même rentrées. Pour l’instant, je ne vois pas ce logiciel modifier les valeurs que nous portons dans notre pratique. C’est un outil pour l’éducateur : il y rentre les infos qu’il souhaite et s’il quitte le territoire, ça permet à celui ou celle qui prend sa place de ne pas reposer toutes les questions aux jeunes, ça assure une meilleure continuité... »

Mise en danger des professionnels

À Toulouse, tout en reconnaissant que des dossiers ou notes ont toujours existé, plus ou moins rédigés et fournis, les éducatrices et éducateurs de rue rencontrés assurent que la confidentialité est primordiale, et que la consigne est de ne jamais rien laisser traîner dans les bureaux. « Est-ce qu’on accepterait qu’on prenne et conserve autant d’infos sur nous quand on va demander de l’aide ? Et en quoi suis-je légitime pour évaluer la santé mentale d’un jeune ? Pour moi, cet outil va créer de fait une autre relation avec le public et les quartiers », s’inquiète l’une.

Un autre souligne la mise en danger que cela peut représenter pour les éducateurs et éducatrices : « On est en contact direct avec les jeunes et on assiste parfois à des trafics... C’est possible parce qu’il y a de la confiance. Mais quand on va les avoir convaincus de nous lâcher ces données, quelle sera leur réaction si ensuite ils ont des soucis avec les autorités ? Ils risquent de nous demander des comptes. » Une exposition d’autant plus plus réelle que, souligne G., « on aura été en capacité d’influencer leur décision dans un sens ou dans l’autre pour qu’ils acceptent ou pas le procédé ».

Bertrand Deric dirige le service de prévention d’une association non adhérente au CNLAPS, à Paris, qui utilise un outil interne de suivi des projets, chantiers éducatifs, activités collectives, mais ne collecte pas de données personnelles. « Pour moi, la vraie question est de savoir ce que l’on fait de ces données, nuance-t-il. Avoir des infos pour mieux cartographier les besoins, si ça permet d’étayer des demandes et d’obtenir des soutiens sur des quartiers ou des publics spécifiques, pourquoi pas. Mais c’est vrai que l’anonymat, c’est l’ADN de la prévention, et les éducateurs ont toujours été vigilants là-dessus : il y a vingt ans, on manifestait déjà en disant “on est des éducateurs, pas des délateurs”. C’est une question d’assurance : quand on est convaincu par l’objet, on peut le porter, sinon c’est plus compliqué. Il faut savoir sécuriser les professionnels sur ce type d’outil. »

Des préoccupations qui n’ont pas échappé à la section toulousaine de la Ligue des droits de l'homme : « On s’interroge sur la manière dont est menée la mise en place de cet outil auprès de gens qui vont devoir l’utiliser sans avoir trop de pouvoir dessus, mais aussi sur le contenu : des items posent question, sur les possibilités de socialisation des jeunes, ou les données comportementales, par exemple. Une commission de suivi paritaire avec des professionnels et des associatifs n’aurait pas été du luxe. »

« Peut-être faudrait-il voir avec les jeunes quel type d’infos ils sont prêts à donner », suggère Bertrand Deric. Pour prendre la température, G. a demandé début février à deux jeunes du quartier où elle intervient s’ils accepteraient que des informations les concernant soient stockées dans des fichiers numériques. Selon elle, leur réponse a été « directe » : pas question.

samedi 13 février 2021

Les travailleurs de deuxième ligne, ou comment sortir de l'asservissement de la disponibilité

 Article de Actuel CSE

Déjà auteur d'un livre remarqué sur les gilets jaunes, Denis Maillard aborde dans un bref ouvrage la question des travailleurs modestes -du livreur à la caissière- qui, avec les soignants, ont fait face à l'épidémie de Covid-19 en maintenant les services essentiels en 2020. Parmi les pistes qu'il dresse pour revaloriser ces métiers figurent le voeu d'un discours politique positif à leur égard, l'idée d'un scrutin syndical national et d'un rôle accru pour les branches...

Le livre du consultant Denis Maillard, publié par la Fondation Jean Jaurès (1), s'ouvre sur ces phrases prononcées le 13 avril 2020 par Emmanuel Macron, alors que les Français avaient chaleureusement applaudi aux fenêtres les soignants tenant à bout de bras notre système de santé face à la Covid-19 : "Il nous faudra nous rappeler que notre pays, aujourd'hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. "Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune". Ces mots, les Français les ont écrits il y a plus de 200 ans. Nous devons aujourd'hui reprendre le flambeau et donner toute sa force à ce principe".

Certes, le "Ségur de la santé" a apporté, depuis ces promesses, une amélioration financière aux soignants. Mais la reconnaissance symbolique et matérielle des travailleurs de deuxième ligne tarde, elle, à se concrétiser, le ministère du Travail s'étant pour l'instant borné à annoncer une méthode et une mission pour répertorier ces travailleurs, alors que les organisations syndicales réclament depuis des mois des mesures concrètes (lire notre article). 

5 mondes professionnels différents

Pour Denis Maillard, le retour à "l'invisibilité" de ces travailleurs, jugés indispensables le temps d'une crise sanitaire, n'est pas une surprise. Il avait déjà fallu une puissante secousse sociale, celle des gilets jaunes (2), pour que ces travailleurs du "back-office" apparaissent en pleine lumière, l'auteur analysant cette révolte comme la revendication de "la capacité de vivre dignement de son travail".

Comment donc éviter une nouvelle colère sociale de ces travailleurs demain ? Comment prendre en charge cette nouvelle question sociale ? s'interroge le consultant, philosophe de formation, dans ce petit livre. Ces travailleurs, commence-t-il par répondre, appartiennent à 5 mondes professionnels différents :

  • le monde de la manutention, de la logistique et de l'acheminement (chauffeurs routiers, livreurs du dernier kilomètre, etc.);
  • le monde du comptoir et du guichet (agents de sécurité, caissiers, hôtesses, etc.);
  • le monde du "care" (soin) et de l'espace domestique (brancardiers, cantonniers, éboueurs, travailleurs de la propreté, etc.); 
  • le monde des "premières lignes de la République" (policiers, gendarmes, pompiers, postiers, agents d'entretien de l'électricité et du gaz, etc.);
  • le monde du "bureau routinier en voie d'automatisation" (téléopérateurs des centres d'appels, sous-traitance informatique, travailleurs du clic, opérateurs de saisie, etc.).
Disponibilité pour tous, asservissement pour certains

L'émergence de ces nouvelles catégories de travailleurs s'explique par les injonctions suscitées par notre société de consommation : "La disponibilité de toute chose, au service du bien-être de certains, impose que d'autres restent à disposition en permanence".

Si l'on suit Denis Maillard, notre civilisation des loisirs a donc donné naissance à une "classe de services". Il ne s'agit pas d'une classe sociale cependant.

Ces travailleurs sont plutôt repliés sur leur famille et sur une solidarité de proximité. Faute de relais politiques ou syndicaux, ils n'accèdent pas à une conscience sociale supérieure 

 

 

Bien que partageant une expérience commune, bien qu'affectés à des tâches pénibles pour lesquelles ils courent plus de risques que les autres salariés, tous ces travailleurs, plutôt repliés sur leur famille et sur une solidarité de proximité, n'accéderaient pas à une "conscience sociale supérieure", faute de trouver des relais (partis politiques, syndicats, associations...) pour assouvir "leur soif d'autonomie".

Une autonomie professionnelle d'ailleurs très réduite. La Dares (direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques) a déjà souligné qu'en quelques années, le nombre de salariés affirmant ne pas avoir d'autonomie est passé de 14% à 20% en 2013. Ce sentiment d'être substituable par un autre travailleur, dans une organisation productiviste encore accrue par les possibilités du numérique, s'accompagne de l'absence, dans leur horizon personnel, d'évolution pour ces travailleurs. 

Réduire la pénibilité de ces métiers, valoriser les compétences des travailleurs 

 

 

Parmi les pistes qu'il dresse pour sortir ces salariés de l'impasse, l'auteur estime nécessaire, pour réduire effectivement la pénibilité de ces métiers, de faire supporter aux employeurs le coût réel des accidents du travail et maladies professionnelles. Il juge important de reconnaître les compétences acquises par ces travailleurs : intelligence du métier, adaptabilité, inventivité, valorisation des relations, "autant de critères particulièrement recherchés et rémunérés dans les professions intellectuelles". En effet, souligne-t-il, "le travail non qualifié n'a rien à voir avec celui d'hier et cette notion de qualification n'a plus d'objet dans une société "orientée client" faisant appel essentiellement à des compétences sociales".

 Ouvrir des horizons professionnels

 

Cette appréciation du travail réel, à conduire "entreprise par entreprise, branche par branche", permettrait aussi d'ouvrir des évolutions professionnelles afin d'éviter "les trappes professionnelles". Enfin, Denis Maillard plaide pour la réinternalisation de certains métiers (accueil, entretien par ex.) dans les entreprises qui les ont sous-traités, ou, à tout le moins, à une responsabilisation des donneurs d'ordres. 

La branche comme planche de salut ?

A la fin de son ouvrage, l'auteur estime qu'en redonnant une visibilité aux travailleurs du back office, la crise liée à la Covid-19 offre "l'opportunité" pour ces salariés d'accéder à une forme de "reconnaissance" de la part de la société. Cette reconnaissance suppose aussi que le discours politique -la promesse d'un "travailler plus pour gagner plus" fut lourde de déceptions pour ces travailleurs- n'abandonne pas ces populations et intègre cette question sociale sensible. La balle est aussi dans le camp syndical, trop souvent absent auprès de ces populations selon Denis Maillard.

Une élection syndicale nationale pour tous les travailleurs, le même jour 

 

Comment repeupler ce désert ? En lieu et place des élections TPE (très petites entreprises), ce dernier plaide pour un scrutin national où tous les travailleurs français, quel que soit leur statut, désigneraient de façon électronique, le même jour, leurs représentants pour les défendre, une élection qui établirait aussi la représentativité des organisations syndicales. Notons qu'un tel scrutin (qui n'est pas sans rappeler l'élection nationale des prud'hommes supprimée au profit d'une désignation des conseillers) bouleverserait la logique d'élection professionnelle d'entreprise qui a refondé, depuis 2008, la représentativité syndicale. Il faut dire que l'auteur voit davantage la branche -mise à mal par les ordonnances de 2017- que l'entreprise comme "le lieu d'articulation entre l'isolement de l'individu et la conception de ses droits collectifs".

Toutes ces pistes sont-elles de nature, comme le résume au final l'auteur, à faire "de la classe de services" de ces travailleurs de deuxième ligne "un peuple de citoyens" ? A chacun de juger, mais un tel débat est pour le moins socialement utile à l'approche d'échéances politiques majeures pour notre pays.

 

(1) "Indispensables mais invisibles ? Reconnaître les travailleurs en première ligne", Denis Maillard, fondation Jean Jaurès, L'Aube, 91 pages, 8,90€. La fondation Jean Jaurès est un club de réflexion de gauche, proche du Parti socialiste.

(2) Voir notre note de lecture sur "Une colère française", l'ouvrage de Denis Maillard sur les gilets jaunes.

 

vendredi 12 février 2021

Un crédit d’impôt pour celles et ceux qui s’abonnent à la presse


 

Afin de soutenir le secteur de presse, la 3ème loi de finances rectificative pour 2020 a instauré un crédit d'impôt pour tous lors d'un premier abonnement à un journal, à une publication périodique ou à un service de presse en ligne qui présente le caractère de presse d'information politique et générale.

L'article 200 sexdecies du Code général des impôt prévoit un crédit d'impôt sur le revenu équivalent à 30 % du prix du premier abonnement à un journal, à une publication périodique ou à un service de presse en ligne qui présente le caractère de presse d'information politique et général.


Tous les foyers fiscaux sans condition de ressources peuvent souscrire un premier abonnement, pour un an minimum, à un titre de presse qui relève de la presse d'information politique et générale avant le 31 décembre 2022. L'avantage n'est accordé qu'une fois pour un même foyer fiscal.

Sont exclus les kiosques en ligne, qui proposent «la diffusion numérique groupée de services de presse en ligne ou de versions numérisées de journaux ou publications périodiques ne présentant pas tous le caractère de presse d'information politique ou générale».

Attention 
La mesure entrera en vigueur à partir d'une date qui sera fixée par décret.
Un reçu d'abonnement à conserver
Comme pour les autres crédits d'impôt, les sommes versées au titre de l'abonnement ouvrent droit à l'avantage sous réserve que le contribuable soit en mesure de présenter, à la demande de l'administration fiscale, un reçu répondant à un modèle fixé par l'administration. Le document doit mentionner le montant et la date des versements effectués ainsi que l'identité et l'adresse des bénéficiaires et de l'organisme émetteur. Ce justificatif doit attester que le journal, la publication périodique ou le service de presse en ligne répond aux conditions pour ouvrir droit à l'avantage fiscal.

En cas de non-respect des règles ou lorsqu'il est mis fin à l'abonnement avant une durée minimale de douze mois, le crédit d'impôt obtenu fait l'objet d'une reprise.

Congés trimestriels : arrêt de la cour de cassation

 

La Cour de Cassation, dans un arrêt inédit de 2018 vient réaffirmer que l’on ne peut pas perdre le bénéfice des congés trimestriels, même si l’on est en maladie pendant le trimestre.


Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 21 mars 2018, 16-25.427, Inédit

Cour de cassation – Chambre sociale

  • N° de pourvoi : 16-25.427
  • ECLI:FR:CCASS:2018:SO00398
  • Non publié au bulletin
  • Solution : Rejet

Audience publique du mercredi 21 mars 2018

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris, du 07 septembre 2016

Président

M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président)

Avocat(s)

Me Le Prado, SCP Waquet, Farge et Hazan

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :



Sur le premier moyen :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 7 septembre 2016), que Mme A… Y…, exerçant au sein de l’association Entraide travail accompagnement insertion (l’association) les fonctions d’éducatrice spécialisée, membre du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, a été placée en arrêt maladie à plusieurs reprises à compter du 14 décembre 2010 ; qu’aux termes d’un avis en date du 30 juillet 2012, le médecin du travail l’a déclarée inapte à son poste et à tout poste dans l’entreprise ; que, par décision en date du 2 mai 2013, l’inspecteur du travail s’est déclaré incompétent pour statuer sur la demande d’autorisation de licenciement présentée par l’association ; que la salariée a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre du 7 octobre 2013 ; que la décision de l’inspecteur du travail a été annulée par jugement du tribunal administratif en date du 21 janvier 2015 ;

Attendu que l’association fait grief à l’arrêt de la condamner à verser à Mme A… Y… la somme de 523,20 euros à titre d’indemnité compensatrice pour congés trimestriels non pris, alors, selon le moyen, qu’il résulte de l’article 6 de l’annexe III à la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 que le personnel éducatif, pédagogique et social, en sus des congés payés annuels accordés selon les dispositions de l’article 22 de la convention nationale, ont droit au bénéfice de 6 jours de congé consécutifs, non compris les jours fériés et le repos hebdomadaire, au cours de chacun des 3 trimestres qui ne comprennent pas le congé annuel, et pris au mieux des intérêts du service, la détermination du droit à ce congé exceptionnel devant être appréciée par référence aux périodes de travail effectif prévues à l’article 22, alinéa 4, de la convention ; qu’en renvoyant ainsi expressément au seul alinéa 4 de l’article 22 de la convention collective applicable, lequel assimile certaines absences à des périodes de travail effectif pour la détermination du droit à congé payé annuel, l’article 6 de l’annexe III à cette convention exclut l’application des autres alinéas, qui prévoit la suspension et le report du congé payé annuel en cas de maladie ; qu’il en résulte que le salarié absent au cours du trimestre écoulé ne peut prétendre à la récupération des congés trimestriels non pris ; qu’en estimant le contraire, la cour d’appel a violé les dispositions susvisées ;

Mais attendu qu’eu égard à la finalité qu’assigne aux congés annuels la Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, il appartient à l’employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu’il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement ; que, sauf dispositions contraires, la même règle de preuve s’applique aux congés d’origine légale ou conventionnelle, s’ajoutant aux quatre semaines garanties par le droit de l’Union ;

Et attendu qu’ayant constaté que la salariée n’avait pu prendre ses congés trimestriels en raison d’un arrêt de travail pour un accident du travail et d’un arrêt de travail pour maladie, faisant ainsi ressortir que l’employeur n’apportait pas cette preuve, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ;

Et attendu qu’il n’y pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen ci-après annexé, qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne l’association Entraide travail accompagnement insertion aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne l’association Entraide travail accompagnement insertion à payer à Mme A… Y… la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un mars deux mille dix-huit. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par Me Le Prado , avocat aux Conseils, pour l’association Entraide travail accompagnement insertion

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué,

D’AVOIR condamné l’association Etai à verser à Mme A… Y… la somme de 523,20 euros à titre d’indemnité compensatrice pour congés trimestriels non pris ;

AUX MOTIFS QUE « Sur les jours de congés trimestriels ; que Madame A… Y… soutient que l’employeur ne pouvait comme il l’a fait lui supprimer des jours de congés dits trimestriels alors qu’elle n’a pas pu les prendre car elle était en arrêt de travail pour maladie puis pour accident du travail ; qu’elle fait valoir qu’ils auraient dû être reportés à son retour ; que l”ETAI soutient que Madame A… Y… ne peut pas prétendre à une indemnité compensatrice de congés payés alors qu’elle n’a pas sollicité ces congés et qu’ils ne lui ont pas été refusés. Elle fait valoir que ces congés trimestriels sont prévus par l’article 6 de l’annexe 3 de la convention collective et qu’ils doivent être pris au cours du trimestre de sorte qu’ils ne peuvent pas être reportés en raison d’un arrêt de travail pour maladie ou pour accident du travail ; que Madame A… Y… verse aux débats un document signé par la directrice de l’ETAI, non contesté par l’employeur, au bas duquel il est indiqué: “congés décembre 2010 : Congés trimestriels perdus car non pris dans le trimestre- congés février 2011 : Congés trimestriels perdus car non pris dans le trimestre” ; qu’il résulte de l’attestation de paiement des indemnités journalières produite par la salariée, qu’au cours du mois de décembre 2010, elle a été placée en arrêt de travail pour accident du travail du 17 au 31 décembre 2010 et qu’au cours du mois de février 2011, elle a été placée en arrêt de travail pour maladie du 4 au 28 février ; que l’article 22 de l’annexe 3 de la convention collective applicable dispose que les personnels ont droit au bénéfice de 6 jours de congé consécutifs au cours de chacun des trois trimestres qui ne comprennent pas le congé annuel ; qu’aucune disposition ne prévoit la perte du congé non pris au cours du trimestre ; qu’or lorsque le salarié s’est trouvé dans l’impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l’année prévue par le code du travail ou une convention collective en raison d’absences liées à une maladie, un accident du travail ou une maladie professionnelle, les congés payés acquis doivent être reportés après la date de reprise du travail. L’article 22 de l’annexe 3 disposant que le droit à ce congé s’apprécie par référence aux périodes de travail effectif, il y a lieu de considérer que ces jours de congés dits trimestriels sont des jours de congés de même nature que les congés annuels de sorte qu’ils doivent être reportés en cas d’arrêt travail pour maladie ou pour accident du travail ; que l’ETAI ne pouvait donc pas comme il l’a fait supprimer ces congés ; que l’indemnité compensatrice sollicitée par Madame A… Y… est due, la preuve étant parfaitement rapportée que l’employeur n’a pas entendu la faire bénéficier de ces jours de congés ; que l’ETAI sera donc condamnée à lui payer la somme de 523,20 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés. »

ALORS QUE il résulte de l’article 6 de l’annexe III à la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 que le personnel éducatif, pédagogique et social, en sus des congés payés annuels accordés selon les dispositions de l’article 22 de la convention nationale, ont droit au bénéfice de 6 jours de congé consécutifs, non compris les jours fériés et le repos hebdomadaire, au cours de chacun des 3 trimestres qui ne comprennent pas le congé annuel, et pris au mieux des intérêts du service, la détermination du droit à ce congé exceptionnel devant être appréciée par référence aux périodes de travail effectif prévues à l’article 22, alinéa 4, de la convention ;

qu’en renvoyant ainsi expressément au seul alinéa 4 de l’article 22 de la convention collective applicable, lequel assimile certaines absences à des périodes de travail effectif pour la détermination du droit à congé payé annuel, l’article 6 de l’annexe III à cette convention exclut l’application des autres alinéas, qui prévoit la suspension et le report du congé payé annuel en cas de maladie ; qu’il en résulte que le salarié absent au cours du trimestre écoulé ne peut prétendre à la récupération des congés trimestriels non pris ; qu’en estimant le contraire, la cour d’appel a violé les dispositions susvisées.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué,

D’AVOIR prononcé la nullité du licenciement de Mme A… Y… et d’AVOIR en conséquence condamné l’association Etai à verser à la salariée une indemnité de 25 000 euros pour licenciement nul ;

AUX MOTIFS QUE « Sur la nullité du licenciement ; que Madame A… Y… soutient à titre principal que son licenciement est nul dès lors que le tribunal administratif a annulé la décision d’incompétence de l’inspection du travail ; que l’ETAI soutient que les conséquences d’une annulation d’une autorisation administrative de licenciement relevant de l’article L2422-4 du code du travail doivent être distinguées de celles qui résultent d’un licenciement prononcé sans autorisation ou malgré un refus d’autorisation car il ne peut pas être reproché à l’employeur une violation de la protection attachée au mandat représentatif ; mais que, si le juge administratif annule une décision de l’inspecteur du travail autorisant un licenciement, la rupture du contrat de travail, si elle a été prononcée, est nulle ; que l’annulation d’une décision de l’inspecteur du travail se déclarant incompétent pour statuer sur une demande d’autorisation de licenciement au motif que le salarié n’est pas ou n’est plus protégé est assimilable à une annulation d’autorisation, et emporte les mêmes effets ; que le licenciement de Madame A… Y… est donc nul sans qu’il soit besoin d’examiner d’autres moyens ; que lorsque le salarié protégé ne demande pas sa réintégration, les indemnités de rupture lui sont dues ainsi qu’une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement au moins égale à 6 mois de salaire ; que Madame A… Y… a perçu l’indemnité conventionnelle de licenciement et la cour a précédemment retenu qu’aucun complément ne lui était dû ; que l’indemnité compensatrice de préavis lui est due soit la somme de 5 666,90 euros, montant non utilement contesté par l’ETAI, outre la somme de 566,69 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférents ; que Madame A… Y… a subi du fait de ce licenciement nul un préjudice qui, compte tenu de son ancienneté dans l’entreprise, 9 ans, de son âge, 57 ans, de sa rémunération, des circonstances de la rupture et des conséquences du licenciement à son égard, lui a créé un préjudice qui sera réparé par l’octroi de la somme de 25 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul ; que la décision des premiers juges sera infirmée » ;

ALORS QUE l’annulation de la décision d’autorisation du licenciement du salarié protégé n’a pas pour effet de placer celui-ci dans une situation identique à celle d’un salarié licencié en l’absence d’autorisation administrative ; que cette annulation n’entraîne donc pas la nullité du licenciement et n’ouvre donc pas droit au salarié à l’indemnité pour licenciement nul ; qu’en estimant toutefois que l’annulation de l’autorisation administrative de licenciement avait les mêmes effets qu’un licenciement sans autorisation pour ensuite déclarer nul le licenciement de Mme A… Y… et allouer à cette dernière une indemnité pour licenciement nul, la cour d’appel a violé l’article L.2422-4 du code du travail.ECLI:FR:CCASS:2018:SO00398

lundi 8 février 2021

[A lire] L'insoutenable subordination des salariés, Danièle Linhart

 On aime les écrits de Danièle Linhart et on vous en parle souvent (ici ou )

 
Une lecture sociologique des innovations managériales en cours, qui tendent à faire oublier les véritables objectifs des employeurs : continuer à mettre en œuvre la subordination des salariés, seule garantie de leur exploitation « légitime ».
Les salariés sont pris dans un dilemme qui les met en grande vulnérabilité. Au-delà du besoin financier qui les tient, et malgré les contraintes permanentes qu’impose la subordination inscrite dans leur statut, ils ont pour leur travail de réelles aspirations en termes de sens, d’utilité sociale, d’identité professionnelle et citoyenne.
Cette situation permet aux directions d’entreprise d’asseoir et de pérenniser leur emprise sur leurs salariés, de façon de plus en plus savante et sophistiquée. En stimulant et exacerbant les désirs qui sous-tendent leur rapport au travail, elles parviennent à imposer de nouvelles méthodes d’organisation et d’implication des salariés, toujours plus déstabilisantes et délétères.
Danièle Linhart décrypte la capacité patronale à faire renaître, sans cesse, sa domination, afin de préserver, voire sublimer, un lien de subordination qui devient de plus en plus personnalisé et intrusif, et qui compromet toute capacité collective des salariés à s’emparer des véritables enjeux du travail. Des DRH « bienveillantes » et préoccupées du « bonheur » de leurs salariés aux « entreprises libérées » par leur leader, en passant par l’esprit start-up et l’offre éthique, l’auteure analyse tous ces faux-semblants des innovations managériales qui paralysent l’intelligence collective. 

mardi 2 février 2021

Des moyens pour soigner nos aînés !

Ambroise Croizat mérite d’entrer au Panthéon ! [Signez la pétition de l'Humanité]

 
À l’initiative de l’Humanité, élus, syndicalistes et intellectuels interpellent le président de a République afin que le bâtisseur de la Sécurité sociale et ministre du Travail à la Libération, Ambroise Croizat, entre au Panthéon.

Il y a cent vingt ans ans, le 28 janvier 1901, naissait Ambroise Croizat. La France lui doit l’une de ses plus belles créations collectives : la Sécurité sociale. Il en fut la cheville ouvrière et le principal bâtisseur, en tant que ministre du Travail au sortir de la Seconde Guerre mondiale, dans le respect du programme du Conseil national de la Résistance. ­Depuis lors, des générations de citoyens ont eu la chance de bénéficier d’une ­couverture sociale ­exceptionnelle. Il faut bien mesurer l’œuvre ­civilisatrice d’Ambroise Croizat pour ce qu’elle est : une étape fondamentale, révo­lu­tionnaire, dans la ­recherche d’une vie meilleure qui a toujours animé l’humanité.

L’objectif d’Ambroise Croizat était de briser l’angoisse du lendemain, de la maladie ou de l’accident de travail. Sa volonté, sa vision étaient de ne plus faire de la retraite l’antichambre de la mort, mais bien une nouvelle étape de la vie. Notre pays doit à ce militant communiste la générali­sation des retraites, les comités d’entreprise, la médecine du travail, la reconnaissance des maladies professionnelles, la prime prénatale… En tant que député du Front populaire, dès 1936, il avait déjà pris une part considérable dans l’instauration des congés payés, des conventions ­collectives et de la ­semaine de quarante heures.

Tous les Français, aujourd’hui, bénéficient d’une carte vitale, sésame qui leur permet si souvent d’être soignés selon leurs besoins, sans distinction de leurs moyens, grâce à la socialisation des richesses créées. Certes, de nombreux coups ont été assénés à la Sécurité sociale et au Code du travail depuis que Croizat n’est plus. Certes, la Sécurité sociale est avant tout une œuvre collective, comme Croizat, syndicaliste à la CGT, le rappelait. Mais qui peut dire que cet homme d’État n’a pas joué le premier rôle, en tant que ministre, pour apporter à la France l’une de ses plus belles réformes ? Qui peut dire que cette réalisation ne constitue pas un pilier indispensable à notre République sociale ?

La Sécurité sociale fait partie du patrimoine vivant de tous les Français. Un patrimoine qui n’est ni à muséifier ni à vernir, mais à entretenir et développer toujours plus, dans le respect de sa philosophie initiale, en tant que bien commun, comme le montre la crise du Covid-19. Le XIXe siècle aura été marqué dans notre pays par l’accès de tous à l’éducation. Le XXe retiendra à n’en pas douter, avec le recul, la fondation du système de santé public créé par Croizat comme l’une de ses plus grandes conquêtes.

Tous s’en réclament aujourd’hui, même si tous n’en sont pas dignes. Reste qu’Ambroise Croizat est définitivement digne du Panthéon, qui s’honorerait à l’accueillir, avec son épouse Denise, comme le souhaite sa famille.