Dès le lendemain du confinement, les chiffres parlent d’eux-mêmes : la Seine-Saint-Denis concentre à elle seule 10 % des verbalisations. D’après des chiffres plus récents, le département totalise 41 103 verbalisations, pour 242 259 contrôles, c’est-à-dire un taux de contravention de 17 %, contre 6,25 % à Paris et 8,7 % en Hauts-de-Seine.
Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ces chiffres : d’une part, il est sûrement plus aisé de respecter le confinement dans les quartiers riches, où les conditions de logement sont meilleures (dans le 93, 25 % des logements sont surpeuplés) et les habitants des quartiers populaires font partie des travailleurs qui ne bénéficient pas du télétravail (livreurs à vélo, aide-soignants, infirmiers, caissiers, ouvriers, manutentionnaires...).
D’autre part, les contrôles policiers sont plus fréquents et plus sévères dans ces quartiers. C’est du moins l’analyse que propose Sebastian Roché, chercheur du CNRS et spécialiste de la police, au journal Libération : « Les comportements ne peuvent expliquer à eux-seuls une amplitude aussi importante dans les taux de verbalisation. C’est nécessairement une approche policière différente qui génère de tels écarts. »
Depuis plusieurs semaines, les vidéos témoignant de violences policières se multiplient
Le 24 mars, aux Ulis (Essonnes), une vidéo provoque l’indignation sur les réseaux sociaux : Sofiane, 21 ans, est frappé par des policiers sur le chemin du travail. Livreur pour Amazon, il se voit prescrire trois jours d’ITT. La veille, un autre jeune des Ulis avait déjà été violenté par la police. Le parquet d’Évry a ouvert deux enquêtes judiciaires pour faits de violences par personne dépositaire de l’autorité publique. « Des vidéos postées sur Twitter en provenance d’Asnières, de Grigny, d’Ivry-sur-Seine, de Villeneuve-Saint-Georges, de Torcy, de Saint-Denis et d’ailleurs en France, montrent des habitants apparemment frappés, gazés, et, dans un cas, une personne se faisant heurter par un policier à moto », alerte la LDH le 27 mars.
Au 14 avril, la plateforme de signalement des policiers mise en place sur le site de l'IGPN avait déjà reçu 166 signalements, et la police des polices comptait sept affaires judiciaires ouvertes pour des violences présumées lors de contrôles liés au respect du confinement en Île-de-France.
Une violente tentative d’interpellation policière a fait éclater la colère des quartiers populaires, dans la nuit du 20 au 21 avril.
Dans une tribune, dont la CGT est signataire, les auteurs rappellent que « les discriminations racistes, déjà insupportables, sont renforcées par l’impunité policière et les violences et humiliations se multiplient dans les quartiers populaires. On peut y ajouter le couvre-feu discriminatoire imposé aux habitants de ces quartiers par la ville de Nice. Ces injustices flagrantes sont documentées, nul ne peut les ignorer. [...] Les inégalités et les discriminations doivent être combattues avec vigueur et abolies : avec les populations des quartiers populaires, nous prendrons part à ce juste combat pour l’égalité, la justice et la dignité ».
Depuis, de nouvelles affaires sont venues compléter le tableau.
Le 26 avril, une vidéo diffusée par Taha Bouhafs, journaliste pour le média indépendant Là-Bas si j’y suis, montre des policiers tenant des propos racistes, après une interpellation à l’Île-Saint-Denis. Une enquête a été ouverte par l’IGPN.
jeudi 30 avril 2020
mercredi 29 avril 2020
Contrôles abusifs et violences policières : les quartiers populaires en première ligne
Vidéos de violences policières et témoignages de contrôles abusifs se multiplient depuis le début du confinement. Les faits se concentrent en majorité dans les quartiers populaires.
mardi 28 avril 2020
Déclaration intersyndicale CGT/FO/SUD
Le 27 avril 2020 s’est tenue une séance de commission mixte paritaire de négociations de la CCNT66 (et 79).
Les
organisation syndicales de salariés-es ont tenu à parler d’une seule
voix sur la situation de notre secteur en cette période de crise
épidémique et d’état d’urgence sanitaire.
Vous trouverez ci-dessous la déclaration lue en séance par l’intersyndicale :
Commission mixte paritaire CCNT 66/79 du 27 avril 2020, déclaration CGT, FO et SUDDans la période d’urgence sanitaire exceptionnelle où nous nous trouvons depuis maintenant plus d’un mois, les organisations syndicales CGT, FO et SUD dénoncent les conditions dans lesquelles les salarié.e.s poursuivent l’activité dans les établissements et services relevant de la CCNT 66/79.Partout en France, les missions de service public du secteur social et médico-social ont pu continuer à être exercées uniquement parce que des salarié.e.s ont accepté de travailler, au péril de leur vie. Ils continuent d’accueillir les publics en difficultés, dans des conditions sanitaires inacceptables par manque de moyens de protection (masques, gants, blouses, gel…), et sans aucun test de dépistage pour savoir qui est contaminé des salarié.e.s et/ou des usagers, contrairement aux mesures que NEXEM prétend avoir faites auprès de ses adhérents. Nos employeurs doivent garantir notre santé, c’est une obligation de résultat.
Sur le terrain, chaque jour c’est la désorganisation qui l’emporte ainsi que la débrouille et le bricolage, les salariés recevant chaque jour des informations contradictoires.
Cette crise sanitaire met cruellement en lumière la politique de casse de notre secteur orchestrée par les gouvernements successifs depuis plus de 30 ans et fidèlement relayée depuis des années par le syndicat employeur, au nom de l’austérité.
Et ce n’est pas faute, pour les organisations syndicales CGT, FO et SUD, d’avoir alerté, lors de chaque réunion de négociation, sur la situation dramatique qui en résultait tant en termes de salaires, de moyens ou de conditions de travail. NEXEM porte aujourd’hui la lourde responsabilité d’avoir accompagné pendant toutes ces années le dogme budgétaire austéritaire, en empêchant toute avancée sociale ou salariale conventionnelle à la hauteur des besoins des salarié.e.s.
Dans cette situation, les organisations CGT, FO et SUD constatent et dénoncent le silence de NEXEM. Il lui appartenait, à minima, de s’adresser aux salarié.e.s de la CCNT66 pour leur apporter un soutien, mais surtout il lui appartenait d’annoncer l’ouverture immédiate de négociation sur des mesures conventionnelles fortes.
Sauf erreur de notre part, ce n’est toujours pas le cas.
Face à la médiatisation de la situation dans les EHPAD, le gouvernement a annoncé qu’une prime serait octroyée aux professionnels afin « d’assurer la reconnaissance par la nation de leur engagement ». NEXEM vient seulement de demander aux pouvoirs publics, avec d’autres fédérations employeurs, que la prime annoncée soit étendue à tout le secteur social et médico-social.
Pour les organisations CGT, FO et SUD, nous ne nous contenterons pas d’un vague merci, il nous faudra des actes, des revalorisations, et de meilleures conditions de travail.
Encore faut-il que cela se traduise par des mesures et des actes concrets sur le terrain et y compris dans le cadre des commissions mixtes paritaires de négociations !
Pour nous, « la reconnaissance » des salarié.e.s doit de toute urgence se traduire par une revalorisation générale des salaires avec une valeur du point portée immédiatement à minima à 4 euros ! Ce serait une première étape de la légitime revalorisation très attendue par les salarié.e.s.
Pour les assistantes familiales, cela passe par l’ouverture immédiate d’une négociation relative à la demande de révision de l’avenant 351, que nous avons sollicitée, afin d’améliorer sans attendre leurs rémunérations.Et bien entendu personne ne peut refuser de prendre les primes. Mais comme les salarié.e.s qui sont en colère, la CGT, FO et SUD ne s’en satisferont pas.
Face à cette situation, force est de constater que NEXEM, première organisation syndicale employeur du secteur, s’illustre surtout par son silence, son absence de soutien concret et de considération et donc par son mépris envers les salarié.e.s et leurs organisations syndicales.
Nous sommes et nous le répétons, dans une situation de crise sanitaire aussi grave qu’inacceptable. Les salarié.e.s, tous corps de métiers confondus, font face avec courage et professionnalisme à la prise en charge des populations d’autant plus vulnérables.
Nous dénonçons les ordonnances issues de la loi « d’urgence sanitaire », dont nous demandons l’abrogation qui donne entre autres la possibilité de passer de 35h à 60 heures hebdomadaires ou de porter les journées de travail à 12 heures. Ces ordonnances dérogatoires mettent en danger la santé et la sécurité des salarié.e.s.
Nous demandons à NEXEM d’ouvrir sans délai des négociations afin de mettre en œuvre des mesures conventionnelles nationales de protection, de soutien matériel et moraux, d’amélioration des conditions de travail pour les salarié.e.s, afin de garantir leur sécurité et leur santé. Les employeurs ne doivent pas rester livrés à eux-mêmes, le cadre national de la convention collective doit jouer pleinement son rôle protecteur en toutes circonstances.Nous exigeons que les employeurs arrêtent de faire obstacle au droit syndical. NEXEM doit contraindre ses adhérents à garantir partout le libre fonctionnement des instances représentatives du personnel (CSE, CSSCT, RP). Il y a urgence de négocier un accord de branche qui impose des droits nouveaux de communication et de diffusion pour les organisations syndicales et les instances représentatives du personnel.
Il est grand temps que NEXEM le comprenne, entende, considère et crédite les syndicats majoritaires et les revendications qu’ils portent dans l’intérêt des salarié.e.s.
Pour y parvenir, la loyauté des négociations doit être réelle. Elle nécessite une réciprocité prenant en compte les propositions de l’ensemble des interlocuteurs sociaux.
Les négociations paritaires nationales ne peuvent pas être le vecteur du projet politique de NEXEM de regroupement des champs conventionnels et de convention collective unique, qui ne vise qu’à fragiliser et réduire l’ensemble des droits des salarié.e.s.
NEXEM doit chercher à conclure des accords majoritaires. Les organisations CGT, FO et SUD y sont prêtes. Elles ont déjà fait des propositions en ce sens et continueront à le faire.
La reconnaissance du travail particulièrement difficile et exposé des salariés de la CCNT66 doit passer par des avenants conventionnels portant sur des mesures concrètes et immédiates : pour une amélioration des conditions de travail, de la protection des salarié.e.s et par une revalorisation forte et significative de toutes les rémunérations.Paris, le 27 avril 2020
lundi 27 avril 2020
dimanche 26 avril 2020
[Ehpad] Qu’ils se taisent et qu’ils agissent !
Depuis le début de l’épidémie, les personnels des EHPAD comme du secteur du maintien à domicile alertent.
Malgré les annonces télévisées successives, le matériel de protection – masques, gel, surblouses – manquent encore cruellement.
Sans même attendre la fin du confinement, empressés de reprendre leur activité économique pour dégager des profits qu’ils ne reversent pas à la solidarité, des patrons de grands groupes, dans des secteurs non essentiels, achètent par milliers du matériel de protection au mépris de ceux qui luttent au quotidien pour soigner et pour protéger les publics les plus vulnérables.
Oui, les annonces télévisées se succèdent et ne se ressemblent pas. Il y a 15 jours maintenant, le gouvernement a annoncé le dépistage systématique des résidents et des personnels en EHPAD, qu’ils soient symptomatiques ou non, mesure jugée indispensable par la communauté scientifique pour freiner la propagation du virus.
Les exemples sont nombreux d’Ehpad où lorsque l’épidémie pénètre, elle provoque des décès en cascades, contaminant aussi un grand nombre de personnels.
Sans même attendre la fin du confinement, empressés de reprendre leur activité économique pour dégager des profits qu’ils ne reversent pas à la solidarité, des patrons de grands groupes, dans des secteurs non essentiels, achètent par milliers du matériel de protection au mépris de ceux qui luttent au quotidien pour soigner et pour protéger les publics les plus vulnérables.
Oui, les annonces télévisées se succèdent et ne se ressemblent pas. Il y a 15 jours maintenant, le gouvernement a annoncé le dépistage systématique des résidents et des personnels en EHPAD, qu’ils soient symptomatiques ou non, mesure jugée indispensable par la communauté scientifique pour freiner la propagation du virus.
Les exemples sont nombreux d’Ehpad où lorsque l’épidémie pénètre, elle provoque des décès en cascades, contaminant aussi un grand nombre de personnels.
Des situations tragiques pour les résidents, leur famille et les professionnels
Mais, dans les faits, aucun protocole du gouvernement comme des ARS n’a débouché sur la mise en place systématique des dépistages.
Aussi, les exemples sont nombreux de directions qui, se rangeant derrière le manque de consignes claires, ne les pratiquent pas !
Plusieurs arguments sont mis en avant :
Mais, dans les faits, aucun protocole du gouvernement comme des ARS n’a débouché sur la mise en place systématique des dépistages.
Aussi, les exemples sont nombreux de directions qui, se rangeant derrière le manque de consignes claires, ne les pratiquent pas !
Plusieurs arguments sont mis en avant :
- la non-fiabilité des tests, avec 20 à 30 % de faux négatifs, qui obligerait à renouveler le dépistage pour les personnes ;
- l'impossibilité de donner des perspectives, en cas de dépistage positif, par manque de moyens, soit pour déplacer les résidents dans des secteurs dédiés, soit pour remplacer le personnel alors que les effectifs sont déjà extrêmement tendus ;
- et, toujours, le manque de moyens dont il faudrait disposer pour protéger les personnes à risque, si les personnes porteuses du virus devaient être en grand nombre.
On préfère alors ne pas savoir et croiser les doigts !
C’est scandaleux ! C’est dangereux !
La CGT exige le dépistage systématique immédiat avec les moyens nécessaires pour protéger les résidents et les professionnels.
Dimanche soir, chacun a entendu la dernière volte-face gouvernementale, concernant l’autorisation de visite en Ehpad.
De nombreuses voix s’étant élevées à juste titre sur les risques liés à l’isolement prolongé et la solitude des résidents, le Premier ministre a donc changé d’avis autorisant, dès le lundi, des visites, de manière encadrée.
Dès le dimanche soir, les appels téléphoniques de familles désireuses de revoir enfin leur parent se multipliaient, alors que les établissements n’étaient pas préparés à des mesures nécessitant un protocole de sécurité stricte mobilisant de nombreux moyens humains et matériels.
C’était nécessaire mais aurait dû être préparé et anticipé et accompagné depuis longtemps déjà.
C’est scandaleux ! C’est dangereux !
La CGT exige le dépistage systématique immédiat avec les moyens nécessaires pour protéger les résidents et les professionnels.
Dimanche soir, chacun a entendu la dernière volte-face gouvernementale, concernant l’autorisation de visite en Ehpad.
De nombreuses voix s’étant élevées à juste titre sur les risques liés à l’isolement prolongé et la solitude des résidents, le Premier ministre a donc changé d’avis autorisant, dès le lundi, des visites, de manière encadrée.
Dès le dimanche soir, les appels téléphoniques de familles désireuses de revoir enfin leur parent se multipliaient, alors que les établissements n’étaient pas préparés à des mesures nécessitant un protocole de sécurité stricte mobilisant de nombreux moyens humains et matériels.
C’était nécessaire mais aurait dû être préparé et anticipé et accompagné depuis longtemps déjà.
Que dire de l’annonce des primes
attribuées aux soignants dont un grand nombre de catégories sont exclues
et, notamment, en grande partie, celles travaillant dans le secteur des
personnes âgées.
Il y en a assez du mépris, ce sont des augmentations de salaires pour l’ensemble des professionnels permettant une juste reconnaissance de leur métier qu’il faut mettre en place.
Il est temps que ça s’arrête, Depuis le début, toutes les annonces médiatiques sont marquées d’incohérences et d’injonctions paradoxales, bien souvent non comprises, par la population, comme par les professionnels
L’heure n’est plus aux belles paroles mais à dégager les moyens à la hauteur des besoins pour les Ehpad, le secteur de l’aide à domicile et tous les professionnels mobilisés pour soigner et accompagner les personnes âgées. Cela nécessite un plan d'embauche immédiat pour atteindre, le plus rapidement possible, le ratio d'un soignant par résident, la présence d'une infirmière H24, dans chaque établissement et de médecins salariés prescripteurs.
Il y en a assez du mépris, ce sont des augmentations de salaires pour l’ensemble des professionnels permettant une juste reconnaissance de leur métier qu’il faut mettre en place.
Il est temps que ça s’arrête, Depuis le début, toutes les annonces médiatiques sont marquées d’incohérences et d’injonctions paradoxales, bien souvent non comprises, par la population, comme par les professionnels
L’heure n’est plus aux belles paroles mais à dégager les moyens à la hauteur des besoins pour les Ehpad, le secteur de l’aide à domicile et tous les professionnels mobilisés pour soigner et accompagner les personnes âgées. Cela nécessite un plan d'embauche immédiat pour atteindre, le plus rapidement possible, le ratio d'un soignant par résident, la présence d'une infirmière H24, dans chaque établissement et de médecins salariés prescripteurs.
Montreuil, le 24 avril 2020
jeudi 23 avril 2020
dimanche 19 avril 2020
"L’urgence du ministère du Travail est de museler les inspecteurs"
Article de la Nouvelle Vie Ouvrière du 17/04 :
Crises sanitaire et sociale : l’urgence du ministère du Travail est de museler les inspecteursLes inspecteurs sont muselés ! L'intersyndicale de l'inspection du travail – avec la CGT, la FSU, la CNT et Sud – organisait une conférence de presse le jeudi 16 avril pour dénoncer les atteintes à l'exercice de leur fonction par leur hiérarchie.La conférence était convoquée le jeudi après-midi par tous les syndicats de l'Inspection du travail, en ligne évidemment, confinement oblige… Chacun leur tour, les représentants des différentes organisations syndicales ont pointé un fait : le ministère du Travail organise la sape du travail de ses inspecteurs.Des pressions sur les agentsLa CGT, la FSU, la CNT, Sud, pointent du doigt le ministère du Travail qui a enjoint la Direction générale du travail (DGT) à faire entrave aux missions des inspecteurs, pire à faire « comme si l'Inspection du travail entière était débranchée, voire détournée à d'autres fins que celle de protéger les travailleurs » selon les mots de Julien Boeldieu, secrétaire général de la CGT du ministère du Travail.Dans la Marne, un agent a été informé de sa future mise à pied par texto, parce qu'il a entamé une action à l'encontre d'une entreprise contre l'avis de la hiérarchie. « Lors de l'entretien, il lui a été demandé de cesser ses démarches », ailleurs, c'est un employeur qui « demande des nouvelles de la procédure disciplinaire lancée contre un agent. C'est inédit ! » tonne Gille Courc de la CNT Travail et Affaires sociales.Sans compter que les moyens professionnels sont aussi touchés : la messagerie filtre les mails envoyés qui contiennent certains mots citant la convention de l'OIT. Après différentes remontées de pertes de courriers, les responsables syndicaux ont dû tester par eux-mêmes l'envoi et la réception de mails avec les mots qu'ils pensaient filtrés pour vérifier que c'était bien le cas…La convention 81 de l'OIT violée par la FranceLa première préoccupation du ministère du Travail semble donc être celle de la reprise de l'activité économique plutôt que la sécurité des salariés présents dans les entreprises, en pleine crise du coronavirus. Notamment par le fait que les inspecteurs sont fliqués !La DGT leur impose de demander l'aval de leur hiérarchie avant tout contrôle et un droit de veto a été instauré. « Le ministère peut interdire aux agents de faire des contrôles, or la Convention 81 de l'OIT garantit la liberté des agents », s'indigne J. Boeldieu. Les modalités d'intervention sont limitées, les hiérarchies demandant expressément à ne pas lancer de procédures.L'intersyndicale a déjà déposé plainteUne plainte a d'ailleurs été transmise au directeur général de l'Organisation internationale du Travail et au conseil d'administration du Bureau international du travail (BIT).Les syndicats ont donc tous cosigné une lettre qui relève tous les problèmes soulevés par les notes que la DGT a transmises depuis le début de l'épidémie de coronavirus. Ils pointent notamment que les nouvelles directives éclipsent « la mission essentielle, primordiale et fondamentale » de protéger les salariés. Et sa volonté de prioriser d'autres missions « au détriment de la mission de protection des travailleurs, est contraire aux dispositions susvisées et est par conséquent illégale. »Les syndicats reviennent aussi sur les restrictions illégales contre les latitudes des inspecteurs que la convention de l’OIT leur assure pourtant et sur leurs moyens dans l'exercice de leurs missions.Aucun moyen pour l'Inspection du TravailQuant à aux moyens de protection, des masques, pour ceux-là mêmes qui doivent contrôler leur disponibilité pour les salariés, les syndicalistes s'esclaffent : « L'inspection du travail est démunie pour aller inspecter les entreprises. Il n'y a pas de masques disponibles à l'Inspection du travail. Pas dans toutes les régions, et certains sont même périmés ».« C'est un problème de crédibilité que de contrôler sans masque et d'expliquer ensuite à un employeur de protéger et faire protéger ses salariés. » se désole Yann Dufour, de la CGT. Un problème qui s'additionne à la demande d'autorisation du contrôle pour avoir accès à d'éventuels masques. Et qui vient contraindre encore davantage le travail des agents.Les inspecteurs transformés en « relais des consignes du gouvernement »Les Direccte écrivent aux agents de contrôle que leur mission c'est d'« aider les entreprises et les accompagner dans leur reprise d'activité. »Cités dans le texte par les intervenants, des fiches pratiques — éditées par le ministère — qui enrôlent les inspecteurs comme des aides des employeurs, au service des entreprises davantage là « pour donner des informations utiles à la bonne marche de l'économie », selon Julien Boeldieu.Mais ces fiches « n'ont aucune valeur normative. On ne remplace pas le Code civil ou pénal par un guide diffusé par le ministère de la Justice ! » pour Camille Planchenault de Sud Travail qui précise que ces fiches prennent de sérieuses libertés avec le droit du travail.
samedi 18 avril 2020
La positive attitude ?
Billet paru dans Politis (17/04/2020), écrit par "Docteur BB, 38 ans, pédopsychiatre en centres médico-psycho-pédagogiques (service public) en Île-de-France"
Les temps actuels sont à la positivité, à la bienséance, à l’autosatisfaction, et en conséquence la protestation et la résistance se voient criminaliser, estime Docteur BB.
Les temps actuels sont à la positivité, à la bienséance, à l’autosatisfaction, et en conséquence la protestation et la résistance se voient criminaliser, estime Docteur BB.
Les
temps actuels sont à la positivité, à la bienséance, à
l’autosatisfaction et à l’évacuation des antagonismes ; aux déclarations
d’intention, aux beaux discours, et au désaveu du réel…
Il serait presque inconvenant d’être critique, d’exprimer un désaccord ou d’attiser un conflit.
Pas de vague.
La protestation et la résistance se voient criminaliser.
Regarder la réalité, questionner ses dérives, nommer ces dysfonctionnements, cela pourrait dorénavant paraitre suspect, ou réactionnaire. Quel mauvais esprit, oser dénoncer le progrès et l’harmonie...
Il faut avoir l’esprit mal placé, être un vieux grincheux insatisfait.
Ce n’est pas avec ce genre de posture qu’on va faire émerger des premiers de cordée !
Je voudrais illustrer cette injonction à la positivité par quelques exemples, et essayer de réfléchir à ce pourrait recouvrir ce démenti du négatif.
Un des CMPP sur lequel je travaille depuis presque 10 ans dépend d’une association loi 1901, fondée il y a plus d’un siècle, intervenant dans la prévention et la protection infantiles, l’accompagnement du handicap et l’accueil des personnes âgées dépendantes, avec une cinquantaine de structures sur l’ensemble du territoire. Depuis plu-sieurs années, les postes de direction ne sont plus occupés par des travailleurs ayant eu une expérience de terrain, mais par des personnes issues de formation managériale. Ceci n’est pas un détail, car cela se traduit par des effets tout à fait concrets dans les orientations, les éléments sémantiques et les présupposés idéologiques mobilisés.
Illustration :
Il y a quelque temps, outre les nombreuses missions et injonctions auxquelles nous devons faire face, notre équipe a été sommée de participer à un « Flashmob », dans l’optique de stimuler un esprit de cohésion associative. Personnellement, je n’avais aucune idée de ce qu’était cette chose, mais je suis un peu tombé des nues en le découvrant : le projet aurait effectivement consisté à filmer l’équipe en train de réaliser une chorégraphie préparée expressément pour l’occasion, puis de diffuser cette vidéo sur le site de l’association. Sur le plan pratique, il parait effectivement prioritaire de dépenser des fonds pour ce genre d’initiative et d’accaparer du temps de travail à des équipes qui se tournent les pouces… Sur le plan éthique, il s’avère évidemment tout à fait décent et adapté de se pavaner en se tortillant le popotin, avec un sourire illuminé et tout à fait authentique, alors même que nous recevons quotidiennement des familles en grande détresse, vis-à-vis desquelles un certain tact ne semble pas de mauvais aloi. C’est ce que nous répondîmes à la direction, qui eût beaucoup de mal à accepter notre refus et notre mauvais esprit rebelle, vantant à nouveau les mérites incontestables du flashmob d’équipe…
Quelques mois plus tard, il nous fallut participer au grand projet de rédaction du pro-jet associatif. Nous nous trouvâmes donc contraints d’aller rendre visite à des col-lègues travaillant sur un ESAT, afin de discuter des valeurs associatives et des principes d’action, le tout enrobé dans un vernis dégoulinant de démocratie participative. Nous constituâmes donc de petits groupes de travail afin de donner notre avis – ou plutôt de valider notre accord – sur des axes déjà définis. Personnellement, j’héritai entre autres, avec mes collègues d’un jour, de la valeur « Agilité ». Je vous laisse imaginer ma perplexité…Et encore, on aurait pu se taper le « management responsabilisant » ….
Soumis à l’exercice convivial, j’exprimai ce que j’en pensais : il convient donc de revendiquer le fait de pousser la flexibilité jusqu’à ses ramifications les plus simiesques, et d’en être fier. Jusqu’à preuve du contraire, mon travail et mon engage-ment ne consistent pas à me balancer d’une branche à l’autre, au gré des préconisations du moment…Mes partenaires partageaient à peu près les mêmes interrogations. Nous dûmes alors mettre en commun nos réflexions avec l’ensemble du personnel présent ce jour, avant que nos échanges fraternels ne soient positivement transmis à la prévenante direction.
Quelques mois plus tard, une belle brochure du projet associatif nous parvient, avec plein de couleurs et agrémenté d’une version en FALC (avec des petits pictogrammes incompréhensibles pour les usagers ayant des difficultés avec le français). Nous eûmes d’ailleurs droit à une présentation power point sur notre temps de synthèse clinique, question de priorité. Dans ce rapport, l’ « agilité » était donc bien re-connue comme valeur associative, consistant entre autres à déployer des capacités d’anticipation et d’adaptation (darwinienne ?), à questionner son management, à avoir des réponses innovantes, à déhancher son postérieur avec grâce et élégance (désolé, je n’ai pas pu résister…).
Je cède également à la tentation de vous livrer certains éléments de langage conte-nu dans cette brochure, que tous nos usagers s’arracheront évidemment, avec beaucoup d’intérêt et de lumières dans les yeux –nous recevons principalement des familles en situation de précarité, issues de l’immigration, avec souvent des antécédents traumatiques terribles et des souffrances actuelles extrêmement éprouvantes.
Un des objectifs est de « promouvoir une société de droit solidaire, inclusive et accueillante » – comme c’est émouvant…
« Pour assumer ces changements, le modèle de financement va se transformer en favorisant l’aide à la personne plutôt que le financement des institutions. Le secteur privé, voire même les entreprises de droit commun, notamment les start-up, jusqu’ici éloignées du champ de l’action sociale, y voit une opportunité de développement, mettant en avant des capacités d’agilité et de gestion. » Donc, si je comprends bien, il faudrait s’adapter à ce marché concurrentiel de la souffrance humaine en se réformant sur un mode entrepreneurial….
Voici les « axes stratégiques » mis en avant :
1/ contribuer à une société inclusive, en promouvant la citoyenneté de chaque personne, en renforçant sa capacité à agir (empowerment), en développement le « pair-aidance » et la « modularité de l’offre »
2/ promouvoir la qualité de vie des personnes accueillies, à travers une culture de la bientraitance
3/ développer une gestion et un management innovants afin d’adapter les moyens aux ambitions de l’association, en stimulant l’esprit d’initiative, délimitant les modalités de reporting, optimisant la gestion, saisissant les opportunités du numérique par une démarche pro-active, etc.
Voilà également ce qui était affirmé au niveau associatif suite à une réflexion sur l’inclusion : « Il y a 18 mois, nous nous demandions en débattant avec d’autres associations, en examinant nos projets, si la démarche inclusive concernait bien toutes nos actions, toutes nos missions, et toutes les personnes accompagnées. La ré-ponse a été un grand OUI. »
En conséquence, il est revendiqué de pratiquer la « contagion positive », « l’essaimage » de la bonne parole.
Ou encore, et ce n’est pas une blague : « le sérieux et le professionnalisme avec lequel ces enjeux sont pris en considération est essentiel. Il ne s’agit jamais de “ bricoler ” une “ petite ” action : la réflexion sur les supports (danse, nouveau cirque, activité sportive) est approfondie et se doit d’être de qualité ». Sans commentaire…
Deux dernières citations pour souligner encore une fois l’esprit du temps : « l’inclusion requiert de l’innovation et se nourrit d’elle ». Vive la disruption ! Et enfin, à l’occasion de ces événements autour des pratiques inclusives, « Sophie Cluzel – secrétaire d’état chargée des Personnes handicapées – a souligné l’agilité nécessaire au déplacement du centre de gravité de l’action sociale et médico-sociale vers la société ». C’est sûr qu’il va falloir bien s’accrocher aux branches avec toute cette agitation excluant la dimension institutionnelle du soin, mais enrobée de bons sentiments…
Bon, j’arrête là…
Non, effectivement, il ne s’agit pas de la réclame pour une start-up dynamique de la Silicon Valley, mais bien d’une association qui administre notamment un CMPP, accompagnant des enfants en grande difficulté de développement. En pratique, la nouvelle direction n’est jamais venue nous rendre visite in situ, en dépit de nos sollicitations – il faut dire que notre quartier d’implantation n’est pas très fréquentable-, et je soupçonne que, dans les hautes sphères, il y ait un certain brouillard quant à la teneur de notre activité réelle. Peu importe d’ailleurs, tant que celle-ci est conviviale, agile et accueillante, on pourrait tout aussi bien être un club de salsa inclusive.
Au-delà des aspects comiques, il faut quand même décrypter le charabia, car il sous-tend un véritable modèle qui tend à coloniser insidieusement les esprits et les pratiques.
Cette association regroupant des établissements de type EHPAD, IME, CAMSP, SESSAD, CMPP, on aurait pu penser que, dans le projet d’établissement, soient mentionnés de enjeux tels que la souffrance et le mal-être, le tragique de l’existence, les difficultés en rapport avec la dépendance, la question du deuil, la détresse des familles, etc…
Que figurent également la douleur ou l’épuisement des intervenants, tant familiaux que professionnels, le sentiment de rejet, les souffrances au travail, l’ineptie des contraintes budgétaires, la perte de sens des pratiques, etc….
Non, à la place, une sorte de vulgate bienpensante, à la sauce managériale et néolibérale. Un déni des pratiques réelles et incarnées, de leur dimension affective et humaine. Tout n’est plus alors que flexibilité, interchangeabilité, bons sentiments et optimisation.
Pour être tout à fait honnête, il faut reconnaitre que ce vernis idéologique n’a, jusqu’à présent, aucune véritable incidence sur notre façon de travailler au quotidien, et d’accueillir les familles. Et nous pouvons apprécier cette liberté à sa juste valeur. Ce-pendant, de façon tendancielle, cette novlangue tend à s’infiltrer insidieusement, à déformer nos mots et nos cadres de pensées, à coloniser nos esprits….
Alors voilà certaines valeurs que j’aurais souhaité proposer à notre direction : le soin, la responsabilité, le tact, l’humilité, la décence, le respect, la dignité, l’engagement, la pensée, l’esprit critique, la résistance, la rencontre, la reconnaissance, la capacité à être affecté, la gravité, la préoccupation, l’écoute, la patience, la possibilité d’avoir du temps à donner, la prise en compte de la douleur, de la violence des vécus, le conflit, les refus, une parole vraie, portée par des acteurs et des liens incarnés, le commun, le savoir-faire, l’enracinement, l’expérience, le partage, le débat, l’humour, le recul, la possibilité du pas-de-côté, les contradictions, les différences, voire la prise en compte de l’irréductible altérité, l’indignation, les revendications, la lutte, l’insoumission, la créativité, l’acceptation de la complexité, de nos limites et de nos espérances, etc.
Car, n’en déplaise à certains, nous travaillons avec le tourment et l’indicible, nous sommes confrontés à des naufrages existentielles, des drames, et souvent, nous devons faire avec la haine, la destructivité, la perversité ou le rejet…Nous accueil-lons la douleur, avec sérieux et humanité, avec espoir et réalisme. Loin, très loin des slogans et de la propagande ou des inepties du prêt-à-penser. Nous recevons des personnes, des histoires, et non pas des illustrations de catalogues ou des héros de publicité. Nous sommes ancrés dans une réalité vécue, nous traversons aussi bien que possible ces maux et ces luttes, sans nous gargariser de déclarations. Nous voyons les délitements et les désirs, nous portons la puissance du « Non »…
Je continue donc sur ma lancée d’indignation à l’égard de la positive attitude.
J’ai regardé récemment sur France 3 la soirée spéciale « Pièces à conviction – Psychiatrie le grand naufrage », avec une grande enquête suivie d’un débat, auquel participait la ministre de la santé, Mme Agnès Buzyn.
L’expert représentant la pédopsychiatrie était le professeur Marcel Rufo, personnage médiatique, animant des chroniques radiophoniques et, par ailleurs, macroniste notoire (étrange choix pour un débat contradictoire…). A priori, ce spécialiste émérite brille surtout par la prolifération de ses publications et son statut d’expertise au sein de nombreux comités (comité scientifique de la Fondation des hôpitaux de France, comité scientifique de la Fondation pour l’enfance, Haut Comité de Santé publique).
Mais il faut dire que je ne m’attendais pas à un tel discours, faisant suite à un reportage dénonçant de façon approfondie l’état de délabrement de la psychiatrie en France, la détresse des familles, et soulignant les combats de soignants engagés pour défendre un minimum de dignité dans l’accueil des patients en souffrance psy-chique.
Voilà, en gros la teneur des prises de parole de M. Rufo : il commença déjà par féliciter la ministre pour son engagement et de ses courageuses prises de position (sic). Puis il insista sur le fait qu’il ne fallait pas angoisser les familles par un discours trop négatif, soulignant d’ailleurs à quel point les parents avaient évolué de façon extraordinaire. Il réitéra par la suite son désir que l’on ne soit plus dans la plainte, mais dans les propositions positives. Par exemple, M. Rufo suggérait de réduire le temps de prise en charge et les suivis assurés par des psychologues pour que ceux-ci puis-sent gérer les urgences des adolescents. Mais oui, c’est aussi simple que cela ! Quant au devenir des adolescents non suivis et traités au décours de l’urgence, il ne faut sans doute pas l’évoquer, cela pourrait inquiéter et induire un esprit trop négatif.
Tout à son autosatisfaction, M. Rufo ne réalisait sans doute pas l’indécence de ses propos, alors même qu’il avait face à lui une clinicienne de terrain, une infirmière de l’hôpital psychiatrique du Havre, ayant mené plusieurs mois de lutte exemplaire avec « les perchés » pour dénoncer des conditions d’accueil inhumaines et qui rappelait que la situation était toujours la même….Pour rappel, des soignants s’étaient mis en grève en juin 2018 et avaient occupé le toit du bâtiment des urgences pour dénoncer les conditions désastreuses de prise en charge des patients. Suite à la création d’une unité temporaire sur une période de 4 mois, la situation se dégrade à nouveau, avec une augmentation du nombre de patients à accueillir…
On se trouve donc confronté à deux façons d’être « perché »
• Soit dans une position hors-sol et surplombante, satisfaite, infantilisante et réductrice, pleine de positivité et d’effets de discours
• Soit dans une posture de lutte, engagée dans une réalité de terrain, dans une responsabilité individuelle et collective, au prise avec des souffrances éprouvées, tant du côté des soignés que des soignants
Il faut dire que le propre de nos gouvernants actuels n’est sans doute pas de prendre en compte la dimension négative du réel. Ainsi, M. Castaner, ministre de l’Intérieur, peut réitérer en toute impavidité qu’il n’y a aucune image de violence policière. M. Édouard Philippe, Premier ministre, peut nous expliquer que, d’après les résultats du grand débat, le « peuple » français plébiscite la politique de son gouvernement, qu’il veut « moins de normes et plus de solutions ».
Quant à Mme Cluzel, elle souhaite tout simplement que les autistes ne rencontrent plus de psychiatres. Nous allons donc devoir lui adresser tous les petits patients pré-sentant des cas d’autisme lourd, sans solution, pour lesquels nous nous débattons depuis des années dans l’espoir de proposer des prises en charge cohérentes et adaptées. Grâce à son plan, à son agilité, à ses recommandations de bonne pratique, et à ses mots d’ordre inclusifs, il n’y aura plus de soucis, ni de mauvais esprit. Tout sera efficient ; exit les angoisses, le mal-être et la souffrance. Plus de médical, plus de douleur, c’est aussi simple que cela…
Dans le même esprit, Mr Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, ex-président de l’ESSEC, propose tout simplement d’expurger les programmes lycéens de philosophie des notions de Travail et d’Inconscient : Hasta la Vista Marx et Freud, en tant que penseurs du soupçon, du latent, et de la complexité du devenir.
A la place de la dialectique, qui suppose d’en passer par le négatif, on revendique donc une pure positivité, aveuglante et tyrannique. Le règne de l’apparence. Le diktat du plein. L’enfouissement du refus.
Un petit détour par l’étymologie n’est jamais superflu : « critique » provient du latin criticus, lui-même issu du grec κριτικός kritikos, signifiant « capable de discernement, de jugement »…
Mais il ne faut plus juger, c’est discriminant ; il ne faut plus penser, c’est dangereux ; il ne faut pas s’opposer, c’est violent ; il ne faut pas crier, c’est bruyant ; il ne faut plus souffrir, c’est humain…
Sans doute parait-il préférable de revendiquer la communication positive, et toutes ces déclinaisons, dans l’éducation, le développement personnel, le management, la politique, etc…
Et pourtant, communiquer n’est pas parler. Toute parole authentique suppose un saut dans l’inconnu, un vertige face au néant : qu’est-ce qui s’exprime en moi? Pour-quoi et vers qui? Quels sont ces mots qui se forment et s’élancent? Qu’est-ce qu’ils charrient? Quels courants souterrains animent ce flux? D’ailleurs, d’où me viennent-ils ces signifiants? Cet ersatz de sens qu’ils représentent pour moi, peut-il se partager? Et au fond, qu’est-ce que je veux vraiment dire?
Et cet autre à qui je m’adresse, peut-il me comprendre en totale intelligibilité, transparence, alors que je pressens déjà tant d’opacité en moi? Et l’implicite, et le non-verbal, et la prosodie, et l’affect? Et les lapsus, et les ratés? Et ce mot, à quoi est-il vraiment relié pour mon interlocuteur? Quelles énigmatiques associations va-t-il sus-citer, à jamais inaccessibles? Quels fragments d’histoires va-t-il réveiller?
Que de malentendus pour se rencontrer, pour tisser un lien si précaire par-delà le gouffre de l’intersubjectivité?
La parole, la vraie, peut blesser, heurter, bousculer, déranger, gratter, refluer, con-tourner, s’enfouir, se moquer ; sans cesse, elle s’échappe, elle trahit.
Elle fait violence, car elle tente toujours en vain d’enfermer le réel, le vécu. Elle essaie d’affronter le vide, la solitude et l’angoisse ; de recouvrir nos béances, de colmater les fêlures, de saisir l’insaisissable altérité. Elle rate, elle tombe, elle stimule. Elle dit trop, ou pas assez, toujours un peu à côté, trop tard, dissonante. Des creux. Des lignes de fuite et d’emballement. Des traces de nos refus, et de nos espérances déçues. Des échos en souffrance de nos abandons. De la faiblesse de la langue, et de son illusion de pouvoir…Que de prétentions et d’espérance nichés dans l’arbitraire d’un signe, telle une écume éphémère à la surface d’un océan de néant. Toute pa-role se charge de reflux et de relents, de remugle et d’élan, de désirs et d’obscurité. Elle s’élance par-delà les peurs, pour tenter de toucher cet autre toujours évanescent, pour dresser un pont de brindilles à travers cet abysse qui ne cicatrise jamais.
Le négatif est toujours là, tapi ; logique de l’ombre qui n’a de cesse de réclamer son dû. Avant toute inscription du positif, il faut qu’une forme de négativité ait tracé un fond, une absence. C’est cette structure encadrante, silencieuse mais indispensable, qui autorise le déploiement de toute représentation. Il faut du creux pour qu’un con-tenu émerge. Le mot ne peut se loger que dans cette trace de néant.
Et que dire des compulsions de répétition, des tendances masochistes, des réactions thérapeutiques négatives, de la destructivité ? Tous ces comportements insaisissables par la raison instrumentale, qui se réitèrent sans cesse, en dépit de la souffrance qu’ils génèrent en soi et pour les autres, au-delà du principe de plaisir. Pour-quoi cet homo œconomicus, qui devrait toujours maximiser ses gains, harmoniser rationnellement ses relations, œuvrer de façon utilitaire pour son bonheur et celui d’autrui est-il dans la réalité un être si pathétiquement agressif, inconsistant, prédateur, imprévisible? Pourquoi s’expose-t-il à tant de souffrances et de destructivité, de culpabilité, d’aliénation?
Parce qu’il est humain…
Et c’est aussi pour cela qu’il crée, qu’il aime, qu’il pense, qu’il rêve, qu’il parle, qu’il pleure, qu’il fuit, qu’il rit, qu’il doute ; parce qu’il trébuche et qu’il résiste.
Et c’est avec cela que nous travaillons, loin, très loin, de l’agilité gestionnaire et de l’esprit positif du temps…
Il serait presque inconvenant d’être critique, d’exprimer un désaccord ou d’attiser un conflit.
Pas de vague.
La protestation et la résistance se voient criminaliser.
Regarder la réalité, questionner ses dérives, nommer ces dysfonctionnements, cela pourrait dorénavant paraitre suspect, ou réactionnaire. Quel mauvais esprit, oser dénoncer le progrès et l’harmonie...
Il faut avoir l’esprit mal placé, être un vieux grincheux insatisfait.
Ce n’est pas avec ce genre de posture qu’on va faire émerger des premiers de cordée !
Je voudrais illustrer cette injonction à la positivité par quelques exemples, et essayer de réfléchir à ce pourrait recouvrir ce démenti du négatif.
Un des CMPP sur lequel je travaille depuis presque 10 ans dépend d’une association loi 1901, fondée il y a plus d’un siècle, intervenant dans la prévention et la protection infantiles, l’accompagnement du handicap et l’accueil des personnes âgées dépendantes, avec une cinquantaine de structures sur l’ensemble du territoire. Depuis plu-sieurs années, les postes de direction ne sont plus occupés par des travailleurs ayant eu une expérience de terrain, mais par des personnes issues de formation managériale. Ceci n’est pas un détail, car cela se traduit par des effets tout à fait concrets dans les orientations, les éléments sémantiques et les présupposés idéologiques mobilisés.
Illustration :
Il y a quelque temps, outre les nombreuses missions et injonctions auxquelles nous devons faire face, notre équipe a été sommée de participer à un « Flashmob », dans l’optique de stimuler un esprit de cohésion associative. Personnellement, je n’avais aucune idée de ce qu’était cette chose, mais je suis un peu tombé des nues en le découvrant : le projet aurait effectivement consisté à filmer l’équipe en train de réaliser une chorégraphie préparée expressément pour l’occasion, puis de diffuser cette vidéo sur le site de l’association. Sur le plan pratique, il parait effectivement prioritaire de dépenser des fonds pour ce genre d’initiative et d’accaparer du temps de travail à des équipes qui se tournent les pouces… Sur le plan éthique, il s’avère évidemment tout à fait décent et adapté de se pavaner en se tortillant le popotin, avec un sourire illuminé et tout à fait authentique, alors même que nous recevons quotidiennement des familles en grande détresse, vis-à-vis desquelles un certain tact ne semble pas de mauvais aloi. C’est ce que nous répondîmes à la direction, qui eût beaucoup de mal à accepter notre refus et notre mauvais esprit rebelle, vantant à nouveau les mérites incontestables du flashmob d’équipe…
Quelques mois plus tard, il nous fallut participer au grand projet de rédaction du pro-jet associatif. Nous nous trouvâmes donc contraints d’aller rendre visite à des col-lègues travaillant sur un ESAT, afin de discuter des valeurs associatives et des principes d’action, le tout enrobé dans un vernis dégoulinant de démocratie participative. Nous constituâmes donc de petits groupes de travail afin de donner notre avis – ou plutôt de valider notre accord – sur des axes déjà définis. Personnellement, j’héritai entre autres, avec mes collègues d’un jour, de la valeur « Agilité ». Je vous laisse imaginer ma perplexité…Et encore, on aurait pu se taper le « management responsabilisant » ….
Soumis à l’exercice convivial, j’exprimai ce que j’en pensais : il convient donc de revendiquer le fait de pousser la flexibilité jusqu’à ses ramifications les plus simiesques, et d’en être fier. Jusqu’à preuve du contraire, mon travail et mon engage-ment ne consistent pas à me balancer d’une branche à l’autre, au gré des préconisations du moment…Mes partenaires partageaient à peu près les mêmes interrogations. Nous dûmes alors mettre en commun nos réflexions avec l’ensemble du personnel présent ce jour, avant que nos échanges fraternels ne soient positivement transmis à la prévenante direction.
Quelques mois plus tard, une belle brochure du projet associatif nous parvient, avec plein de couleurs et agrémenté d’une version en FALC (avec des petits pictogrammes incompréhensibles pour les usagers ayant des difficultés avec le français). Nous eûmes d’ailleurs droit à une présentation power point sur notre temps de synthèse clinique, question de priorité. Dans ce rapport, l’ « agilité » était donc bien re-connue comme valeur associative, consistant entre autres à déployer des capacités d’anticipation et d’adaptation (darwinienne ?), à questionner son management, à avoir des réponses innovantes, à déhancher son postérieur avec grâce et élégance (désolé, je n’ai pas pu résister…).
Je cède également à la tentation de vous livrer certains éléments de langage conte-nu dans cette brochure, que tous nos usagers s’arracheront évidemment, avec beaucoup d’intérêt et de lumières dans les yeux –nous recevons principalement des familles en situation de précarité, issues de l’immigration, avec souvent des antécédents traumatiques terribles et des souffrances actuelles extrêmement éprouvantes.
Un des objectifs est de « promouvoir une société de droit solidaire, inclusive et accueillante » – comme c’est émouvant…
« Pour assumer ces changements, le modèle de financement va se transformer en favorisant l’aide à la personne plutôt que le financement des institutions. Le secteur privé, voire même les entreprises de droit commun, notamment les start-up, jusqu’ici éloignées du champ de l’action sociale, y voit une opportunité de développement, mettant en avant des capacités d’agilité et de gestion. » Donc, si je comprends bien, il faudrait s’adapter à ce marché concurrentiel de la souffrance humaine en se réformant sur un mode entrepreneurial….
Voici les « axes stratégiques » mis en avant :
1/ contribuer à une société inclusive, en promouvant la citoyenneté de chaque personne, en renforçant sa capacité à agir (empowerment), en développement le « pair-aidance » et la « modularité de l’offre »
2/ promouvoir la qualité de vie des personnes accueillies, à travers une culture de la bientraitance
3/ développer une gestion et un management innovants afin d’adapter les moyens aux ambitions de l’association, en stimulant l’esprit d’initiative, délimitant les modalités de reporting, optimisant la gestion, saisissant les opportunités du numérique par une démarche pro-active, etc.
Voilà également ce qui était affirmé au niveau associatif suite à une réflexion sur l’inclusion : « Il y a 18 mois, nous nous demandions en débattant avec d’autres associations, en examinant nos projets, si la démarche inclusive concernait bien toutes nos actions, toutes nos missions, et toutes les personnes accompagnées. La ré-ponse a été un grand OUI. »
En conséquence, il est revendiqué de pratiquer la « contagion positive », « l’essaimage » de la bonne parole.
Ou encore, et ce n’est pas une blague : « le sérieux et le professionnalisme avec lequel ces enjeux sont pris en considération est essentiel. Il ne s’agit jamais de “ bricoler ” une “ petite ” action : la réflexion sur les supports (danse, nouveau cirque, activité sportive) est approfondie et se doit d’être de qualité ». Sans commentaire…
Deux dernières citations pour souligner encore une fois l’esprit du temps : « l’inclusion requiert de l’innovation et se nourrit d’elle ». Vive la disruption ! Et enfin, à l’occasion de ces événements autour des pratiques inclusives, « Sophie Cluzel – secrétaire d’état chargée des Personnes handicapées – a souligné l’agilité nécessaire au déplacement du centre de gravité de l’action sociale et médico-sociale vers la société ». C’est sûr qu’il va falloir bien s’accrocher aux branches avec toute cette agitation excluant la dimension institutionnelle du soin, mais enrobée de bons sentiments…
Bon, j’arrête là…
Non, effectivement, il ne s’agit pas de la réclame pour une start-up dynamique de la Silicon Valley, mais bien d’une association qui administre notamment un CMPP, accompagnant des enfants en grande difficulté de développement. En pratique, la nouvelle direction n’est jamais venue nous rendre visite in situ, en dépit de nos sollicitations – il faut dire que notre quartier d’implantation n’est pas très fréquentable-, et je soupçonne que, dans les hautes sphères, il y ait un certain brouillard quant à la teneur de notre activité réelle. Peu importe d’ailleurs, tant que celle-ci est conviviale, agile et accueillante, on pourrait tout aussi bien être un club de salsa inclusive.
Au-delà des aspects comiques, il faut quand même décrypter le charabia, car il sous-tend un véritable modèle qui tend à coloniser insidieusement les esprits et les pratiques.
Cette association regroupant des établissements de type EHPAD, IME, CAMSP, SESSAD, CMPP, on aurait pu penser que, dans le projet d’établissement, soient mentionnés de enjeux tels que la souffrance et le mal-être, le tragique de l’existence, les difficultés en rapport avec la dépendance, la question du deuil, la détresse des familles, etc…
Que figurent également la douleur ou l’épuisement des intervenants, tant familiaux que professionnels, le sentiment de rejet, les souffrances au travail, l’ineptie des contraintes budgétaires, la perte de sens des pratiques, etc….
Non, à la place, une sorte de vulgate bienpensante, à la sauce managériale et néolibérale. Un déni des pratiques réelles et incarnées, de leur dimension affective et humaine. Tout n’est plus alors que flexibilité, interchangeabilité, bons sentiments et optimisation.
Pour être tout à fait honnête, il faut reconnaitre que ce vernis idéologique n’a, jusqu’à présent, aucune véritable incidence sur notre façon de travailler au quotidien, et d’accueillir les familles. Et nous pouvons apprécier cette liberté à sa juste valeur. Ce-pendant, de façon tendancielle, cette novlangue tend à s’infiltrer insidieusement, à déformer nos mots et nos cadres de pensées, à coloniser nos esprits….
Alors voilà certaines valeurs que j’aurais souhaité proposer à notre direction : le soin, la responsabilité, le tact, l’humilité, la décence, le respect, la dignité, l’engagement, la pensée, l’esprit critique, la résistance, la rencontre, la reconnaissance, la capacité à être affecté, la gravité, la préoccupation, l’écoute, la patience, la possibilité d’avoir du temps à donner, la prise en compte de la douleur, de la violence des vécus, le conflit, les refus, une parole vraie, portée par des acteurs et des liens incarnés, le commun, le savoir-faire, l’enracinement, l’expérience, le partage, le débat, l’humour, le recul, la possibilité du pas-de-côté, les contradictions, les différences, voire la prise en compte de l’irréductible altérité, l’indignation, les revendications, la lutte, l’insoumission, la créativité, l’acceptation de la complexité, de nos limites et de nos espérances, etc.
Car, n’en déplaise à certains, nous travaillons avec le tourment et l’indicible, nous sommes confrontés à des naufrages existentielles, des drames, et souvent, nous devons faire avec la haine, la destructivité, la perversité ou le rejet…Nous accueil-lons la douleur, avec sérieux et humanité, avec espoir et réalisme. Loin, très loin des slogans et de la propagande ou des inepties du prêt-à-penser. Nous recevons des personnes, des histoires, et non pas des illustrations de catalogues ou des héros de publicité. Nous sommes ancrés dans une réalité vécue, nous traversons aussi bien que possible ces maux et ces luttes, sans nous gargariser de déclarations. Nous voyons les délitements et les désirs, nous portons la puissance du « Non »…
Je continue donc sur ma lancée d’indignation à l’égard de la positive attitude.
J’ai regardé récemment sur France 3 la soirée spéciale « Pièces à conviction – Psychiatrie le grand naufrage », avec une grande enquête suivie d’un débat, auquel participait la ministre de la santé, Mme Agnès Buzyn.
L’expert représentant la pédopsychiatrie était le professeur Marcel Rufo, personnage médiatique, animant des chroniques radiophoniques et, par ailleurs, macroniste notoire (étrange choix pour un débat contradictoire…). A priori, ce spécialiste émérite brille surtout par la prolifération de ses publications et son statut d’expertise au sein de nombreux comités (comité scientifique de la Fondation des hôpitaux de France, comité scientifique de la Fondation pour l’enfance, Haut Comité de Santé publique).
Mais il faut dire que je ne m’attendais pas à un tel discours, faisant suite à un reportage dénonçant de façon approfondie l’état de délabrement de la psychiatrie en France, la détresse des familles, et soulignant les combats de soignants engagés pour défendre un minimum de dignité dans l’accueil des patients en souffrance psy-chique.
Voilà, en gros la teneur des prises de parole de M. Rufo : il commença déjà par féliciter la ministre pour son engagement et de ses courageuses prises de position (sic). Puis il insista sur le fait qu’il ne fallait pas angoisser les familles par un discours trop négatif, soulignant d’ailleurs à quel point les parents avaient évolué de façon extraordinaire. Il réitéra par la suite son désir que l’on ne soit plus dans la plainte, mais dans les propositions positives. Par exemple, M. Rufo suggérait de réduire le temps de prise en charge et les suivis assurés par des psychologues pour que ceux-ci puis-sent gérer les urgences des adolescents. Mais oui, c’est aussi simple que cela ! Quant au devenir des adolescents non suivis et traités au décours de l’urgence, il ne faut sans doute pas l’évoquer, cela pourrait inquiéter et induire un esprit trop négatif.
Tout à son autosatisfaction, M. Rufo ne réalisait sans doute pas l’indécence de ses propos, alors même qu’il avait face à lui une clinicienne de terrain, une infirmière de l’hôpital psychiatrique du Havre, ayant mené plusieurs mois de lutte exemplaire avec « les perchés » pour dénoncer des conditions d’accueil inhumaines et qui rappelait que la situation était toujours la même….Pour rappel, des soignants s’étaient mis en grève en juin 2018 et avaient occupé le toit du bâtiment des urgences pour dénoncer les conditions désastreuses de prise en charge des patients. Suite à la création d’une unité temporaire sur une période de 4 mois, la situation se dégrade à nouveau, avec une augmentation du nombre de patients à accueillir…
On se trouve donc confronté à deux façons d’être « perché »
• Soit dans une position hors-sol et surplombante, satisfaite, infantilisante et réductrice, pleine de positivité et d’effets de discours
• Soit dans une posture de lutte, engagée dans une réalité de terrain, dans une responsabilité individuelle et collective, au prise avec des souffrances éprouvées, tant du côté des soignés que des soignants
Il faut dire que le propre de nos gouvernants actuels n’est sans doute pas de prendre en compte la dimension négative du réel. Ainsi, M. Castaner, ministre de l’Intérieur, peut réitérer en toute impavidité qu’il n’y a aucune image de violence policière. M. Édouard Philippe, Premier ministre, peut nous expliquer que, d’après les résultats du grand débat, le « peuple » français plébiscite la politique de son gouvernement, qu’il veut « moins de normes et plus de solutions ».
Quant à Mme Cluzel, elle souhaite tout simplement que les autistes ne rencontrent plus de psychiatres. Nous allons donc devoir lui adresser tous les petits patients pré-sentant des cas d’autisme lourd, sans solution, pour lesquels nous nous débattons depuis des années dans l’espoir de proposer des prises en charge cohérentes et adaptées. Grâce à son plan, à son agilité, à ses recommandations de bonne pratique, et à ses mots d’ordre inclusifs, il n’y aura plus de soucis, ni de mauvais esprit. Tout sera efficient ; exit les angoisses, le mal-être et la souffrance. Plus de médical, plus de douleur, c’est aussi simple que cela…
Dans le même esprit, Mr Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, ex-président de l’ESSEC, propose tout simplement d’expurger les programmes lycéens de philosophie des notions de Travail et d’Inconscient : Hasta la Vista Marx et Freud, en tant que penseurs du soupçon, du latent, et de la complexité du devenir.
A la place de la dialectique, qui suppose d’en passer par le négatif, on revendique donc une pure positivité, aveuglante et tyrannique. Le règne de l’apparence. Le diktat du plein. L’enfouissement du refus.
Un petit détour par l’étymologie n’est jamais superflu : « critique » provient du latin criticus, lui-même issu du grec κριτικός kritikos, signifiant « capable de discernement, de jugement »…
Mais il ne faut plus juger, c’est discriminant ; il ne faut plus penser, c’est dangereux ; il ne faut pas s’opposer, c’est violent ; il ne faut pas crier, c’est bruyant ; il ne faut plus souffrir, c’est humain…
Sans doute parait-il préférable de revendiquer la communication positive, et toutes ces déclinaisons, dans l’éducation, le développement personnel, le management, la politique, etc…
Et pourtant, communiquer n’est pas parler. Toute parole authentique suppose un saut dans l’inconnu, un vertige face au néant : qu’est-ce qui s’exprime en moi? Pour-quoi et vers qui? Quels sont ces mots qui se forment et s’élancent? Qu’est-ce qu’ils charrient? Quels courants souterrains animent ce flux? D’ailleurs, d’où me viennent-ils ces signifiants? Cet ersatz de sens qu’ils représentent pour moi, peut-il se partager? Et au fond, qu’est-ce que je veux vraiment dire?
Et cet autre à qui je m’adresse, peut-il me comprendre en totale intelligibilité, transparence, alors que je pressens déjà tant d’opacité en moi? Et l’implicite, et le non-verbal, et la prosodie, et l’affect? Et les lapsus, et les ratés? Et ce mot, à quoi est-il vraiment relié pour mon interlocuteur? Quelles énigmatiques associations va-t-il sus-citer, à jamais inaccessibles? Quels fragments d’histoires va-t-il réveiller?
Que de malentendus pour se rencontrer, pour tisser un lien si précaire par-delà le gouffre de l’intersubjectivité?
La parole, la vraie, peut blesser, heurter, bousculer, déranger, gratter, refluer, con-tourner, s’enfouir, se moquer ; sans cesse, elle s’échappe, elle trahit.
Elle fait violence, car elle tente toujours en vain d’enfermer le réel, le vécu. Elle essaie d’affronter le vide, la solitude et l’angoisse ; de recouvrir nos béances, de colmater les fêlures, de saisir l’insaisissable altérité. Elle rate, elle tombe, elle stimule. Elle dit trop, ou pas assez, toujours un peu à côté, trop tard, dissonante. Des creux. Des lignes de fuite et d’emballement. Des traces de nos refus, et de nos espérances déçues. Des échos en souffrance de nos abandons. De la faiblesse de la langue, et de son illusion de pouvoir…Que de prétentions et d’espérance nichés dans l’arbitraire d’un signe, telle une écume éphémère à la surface d’un océan de néant. Toute pa-role se charge de reflux et de relents, de remugle et d’élan, de désirs et d’obscurité. Elle s’élance par-delà les peurs, pour tenter de toucher cet autre toujours évanescent, pour dresser un pont de brindilles à travers cet abysse qui ne cicatrise jamais.
Le négatif est toujours là, tapi ; logique de l’ombre qui n’a de cesse de réclamer son dû. Avant toute inscription du positif, il faut qu’une forme de négativité ait tracé un fond, une absence. C’est cette structure encadrante, silencieuse mais indispensable, qui autorise le déploiement de toute représentation. Il faut du creux pour qu’un con-tenu émerge. Le mot ne peut se loger que dans cette trace de néant.
Et que dire des compulsions de répétition, des tendances masochistes, des réactions thérapeutiques négatives, de la destructivité ? Tous ces comportements insaisissables par la raison instrumentale, qui se réitèrent sans cesse, en dépit de la souffrance qu’ils génèrent en soi et pour les autres, au-delà du principe de plaisir. Pour-quoi cet homo œconomicus, qui devrait toujours maximiser ses gains, harmoniser rationnellement ses relations, œuvrer de façon utilitaire pour son bonheur et celui d’autrui est-il dans la réalité un être si pathétiquement agressif, inconsistant, prédateur, imprévisible? Pourquoi s’expose-t-il à tant de souffrances et de destructivité, de culpabilité, d’aliénation?
Parce qu’il est humain…
Et c’est aussi pour cela qu’il crée, qu’il aime, qu’il pense, qu’il rêve, qu’il parle, qu’il pleure, qu’il fuit, qu’il rit, qu’il doute ; parce qu’il trébuche et qu’il résiste.
Et c’est avec cela que nous travaillons, loin, très loin, de l’agilité gestionnaire et de l’esprit positif du temps…
jeudi 16 avril 2020
jeudi 9 avril 2020
[Signez la pétition] Plus jamais ça ! Construisons ensemble le Jour d’Après
Ensemble, préparons le Jour d’Après, avec un même mot d’ordre : « plus jamais ça ! ».
Avec les organisations signataires, nous appelons chaque citoyen-ne-s
– vous ! – à faire entendre sa voix pour défendre des mesures sociales,
environnementales et féministes et construire, ensemble, le monde
d’après.
La crise sanitaire actuelle a mis le monde à l’arrêt tout en le précipitant dans l’urgence, celle de sauver des vies. Celle, aussi, de repenser et reconstruire un système qui, la preuve vient d’en être dramatiquement donnée, ne mène qu’à l’impasse.
La crise sanitaire actuelle a mis le monde à l’arrêt tout en le précipitant dans l’urgence, celle de sauver des vies. Celle, aussi, de repenser et reconstruire un système qui, la preuve vient d’en être dramatiquement donnée, ne mène qu’à l’impasse.
Une impasse sanitaire, mais aussi sociale et climatique, pour laquelle nous sonnons l’alarme depuis des années.
Aujourd’hui, une opportunité historique nous est donnée :- Celle d’une remise à plat d’un système injuste, climaticide et sexiste.
- Celle de réaliser les changements politiques nécessaires, les plus importants de ces dernières décennies.
- Celle d’un progrès collectif, jamais réalisé depuis des générations, pour un monde juste et durable.
- Celle de construire un monde « d’après » qui profite à toutes et tous et non plus à une minorité privilégiée, et préserve notre avenir et celui de la planète.
Au-delà de grands discours, l’heure est aux actes.
En tant que citoyen-ne-s, nous avons toutes et tous le pouvoir de nous faire entendre pour prendre part à ces décisions qui impacteront durablement nos vies et celles des générations futures. Aujourd’hui, ensemble, défendons les mesures sociales, écologiques, féministes, qui s’imposent.Défendons ensemble des mesures urgentes et de long terme pour la justice sociale et climatique
Tirons les leçons de la crise actuelle et pallions aux dysfonctionnements générés par les politiques menées depuis des années.La protection et la promotion des services publics doit être une priorité, dès aujourd’hui et pour demain. Ils sont les garants de notre santé, de notre éducation, de notre avenir. Ils sont les meilleures armes face à des inégalités croissantes et les garants du respect des droits fondamentaux. Les protéger, c’est investir dedans. C’est aussi revaloriser les personnes qui y travaillent et leur donner les moyens d’agir.
La crise sanitaire actuelle est une loupe grossissante d’inégalités criantes.
Nous ne pourrons accepter que les choix politiques qui seront faits viennent les accentuer. Ils devront au contraire les réduire, en priorité pour les femmes, aujourd’hui en première ligne de la crise, et pour les plus vulnérables, en France et dans le monde.
Enfin, nous voyons aujourd’hui toute la violence humaine et sociale d’une crise qui a pris nos sociétés de cours. Ne faisons pas la même erreur face à la crise climatique, dont les effets se font déjà sentir fortement et qui seront encore plus dévastateurs à l’avenir.
Les choix faits pour demain ne doivent en aucun cas privilégier le court terme, et sacrifier la planète à une croissance « coûte que coûte ». Une autre voie est possible, et ensemble, nous pouvons la défendre.
Aujourd’hui, nous avons le pouvoir de construire le monde de demain, pour qu’il soit le reflet de nos aspirations : un monde plus juste, durable et solidaire.
Ne laissons pas les décisions se prendre sans nous et contre nous. Nous avons le pouvoir citoyen.
mardi 7 avril 2020
[Protection de l'enfance] Lettre ouverte à la Ministre de la Justice
Madame la ministre, garde des Sceaux, Monsieur le secrétaire d’État en charge de la protection de l’enfance,
Nos organisations tiennent à vous alerter sur la situation des enfants en cette période de confinement. Alors qu’ils sont particulièrement vulnérables et qu’une attention particulière devrait leur être accordée, ils sont en réalité les grands oubliés. Au risque de leur faire encourir de graves dangers. En cette période de crise, nous constatons que les rôles et places de chacun des acteurs, tant en protection de l’enfance qu’en matière pénale sont brouillés, tant et si bien que ces missions pourtant essentielles ne sont plus assurées au mieux des intérêts des enfants et des adolescents. Les ordonnances prises dans le domaine de la justice, en matière civile comme pénale, ne nous semblent pas de nature à résoudre les difficultés, mais au contraire à les aggraver.
S’agissant de la protection de l’enfance vous avez, Monsieur le secrétaire d’État, adressé une lettre le 21 mars dernier aux présidents des conseils départementaux dans laquelle vous avez listé les activités vous semblant devoir être intégrées dans les plans de continuation d’activité des départements : cellule de recueil des informations préoccupantes, interventions de protection de l’enfance à domicile, permanence éducative téléphonique à destination des assistants familiaux, prise en charge au-delà des 18 ans pour éviter toute remise à la rue de jeunes majeurs non autonomes et adaptation des missions de la PMI. Vous y avez également mentionné la priorité qui devait être donnée à la mise à l’abri des mineurs isolés étrangers, quand bien même les conditions d’évaluation de leur minorité seraient perturbées, la mise à l’abri devant dès lors être systématique. Toutes ces préconisations, que nous rejoignons, avaient pour but, selon vos propres termes, de rappeler que « les enfants en danger et les enfants protégés doivent faire l’objet d’une vigilance encore plus forte afin que l’urgence sanitaire à laquelle nous sommes confrontés ne conduise pas à aggraver leur situation ».
Et pourtant … Nous constatons que les situations sont très disparates selon les départements et dans nombre d’entre eux ces priorités ne sont pas assurées. Les services de prévention et de protection de l’enfance, que ce soit dans le cadre administratif ou judiciaire, fonctionnent essentiellement par téléphone. Alors même que ce seul contact par téléphone apparaît insuffisant, il est en outre mis à mal la plupart du temps, par l’absence de matériel professionnel mis à disposition des équipes. La crise sanitaire conduisant également de nombreux foyers à solliciter des mainlevées de mesures, voire les contraignant à fermer, certains enfants reviennent à domicile dans des conditions mal préparées et sans aucun accompagnement éducatif effectif, ou bien sont brutalement réorientés vers d’autres structures.
L’accès aux soins est mis à mal et les services de la protection maternelle infantile ne paraissent pas partout en état de fonctionner. En cette période où l’école ne peut que difficilement jouer son rôle habituel de détection des situations de danger, nous nous inquiétons particulièrement des capacités collectives, à les détecter et donc à apporter une protection effective aux enfants concernés. Enfin, la situation des mineurs isolés étrangers demeure la plus préoccupante, ces derniers ne sachant vers qui se tourner pour être mis à l’abri, beaucoup sont à la rue. Une décision de la CEDH a d’ailleurs été nécessaire pour enjoindre un département à prendre un mineur en charge. Si nous avons pu espérer que l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale apporterait quelques gardes-fous en matière d’assistance éducative, il n’en est rien.
L’ordonnance donne la possibilité aux juges des enfants de prononcer des non-lieux à assistance éducative sans audience et sans recueil des observations des parties. Ainsi, des mineurs isolés étrangers risquent fortement de se voir refuser le bénéfice de mesures d’assistance éducative sans avoir eu l’occasion d’être défendus et de faire valoir leurs observations.
Par ailleurs, nous ne pouvons que déplorer que cette ordonnance oublie l’enfant comme sujet de droit. Il n’est à nul endroit prévu le recueil de ses observations ou son audition alors-même que l’enfant discernant est partie à la procédure et que son droit à être entendu est un principe consacré par la Convention internationale des droits de l’enfant. Pourtant, les décisions qui pourront être prises par les juges des enfants, sans contradictoire réel, et pour de trop longues durées, seront lourdes de conséquences : prolongation des mesures d’assistance éducative de plein droit jusqu’à un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire, (sans que l’on sache s’il sera levé le 24 mai prochain) ; renouvellements de mesures pouvant aller jusqu’à neuf mois pour les placements, un an pour les mesures de milieu ouvert, sur le fondement d’un rapport éducatif, dont il n’est en nul endroit prévu les modalités effectives de communication aux parties, ou d’accès au dossier. Par ailleurs, le recueil de l’avis écrit d’un seul parent, sans prise en compte de l’avis de l’enfant dans les mêmes conditions, vient à l’encontre de l’ exercice de l’autorité parentale conjointe, qui pourtant est et doit rester la règle, à l’exception de situations particulièrement graves (telles les violences avérées d’un parent) . L’état d’urgence sanitaire ne justifie pas une telle disproportion dans l’atteinte aux droits des parties.
Concernant la prise en charge de la délinquance des enfants et des adolescents, nous faisons malheureusement des constats tout aussi pessimistes. En effet, la grande majorité des professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse n’ont pas les moyens matériels et techniques permettant un accompagnement à distance, dans le respect des mesures sanitaires, et le maintien d’un lien effectif et suivi avec les enfants et les adolescents, pour lesquels l’entretien uniquement téléphonique s’avère parfois totalement inadapté. En détention, la situation apparaît dramatique et force est de constater l’insuffisance des moyens de protection pour éviter une propagation du virus - les gestes « barrière » étant très difficiles à respecter - , une promiscuité en promenade, des activités quasi à l’arrêt et une privation complète des contacts avec les familles, ce qui rend l’enfermement d’autant plus insupportable. Si des structures de type foyers ou centres fermés ont vu leurs effectifs diminuer pour des solutions alternatives, pour autant, les lieux d’incarcération des mineurs sont encore trop pleins, comme en témoignent les chiffres de la région Île de France, où les établissements accueillant des mineurs étaient à saturation jusqu’il y a quelques jours et ne se vident que très lentement.
Les mineurs isolés étrangers sont particulièrement touchés par cette situation carcérale lourde, subissant parfois des transferts d’établissement intempestifs et obtenant peu de mises en liberté, faute de solutions alternatives adaptées en cette période de crise sanitaire.
L’ordonnance du n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale accroît ces difficultés, en permettant notamment une prolongation de droit de la détention provisoire pour les plus de 16 ans encourant plus de sept ans d’emprisonnement. Nous déplorons que cette ordonnance n’ait pas davantage fait primer l’éducatif, ni garanti la spécificité et la moindre sévérité pour les enfants par rapport aux majeurs. Il est à notre sens très préoccupant et peu compréhensible que pour plusieurs dispositions (prolongation de garde à vue qui peut intervenir sans présentation devant le magistrat compétent, prorogation automatique de la détention provisoire), certains mineurs puissent se voir appliquer les mêmes règles que les majeurs, règles pourtant particulièrement dérogatoires aux droits de la défense et aux libertés. Il est à noter d’ailleurs que toutes les mesures plutôt favorables portant sur les remises de peine concernent en réalité peu de mineurs, qui restent à 80 % placés sous le régime de la détention provisoire. Par ailleurs, les seules règles spécifiquement prévues pour les mineurs, à savoir la prolongation automatique des mesures de placement (pour 4 mois), et des mesures éducatives (pour 7 mois) sans débat, ne garantissent pas le respect des droits particulièrement en ce que les placements en centre éducatif fermé n’ont pas été explicitement exclus et que ces durées sont excessives. Nous nous interrogeons ici aussi sur la notion de rapport éducatif au regard de l’absence de matériel professionnel d’une grande partie des personnels de la PJJ sus-mentionnée.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, Madame la ministre, Monsieur le secrétaire d’État, nos organisations espèrent que de nouvelles mesures, que ce soit sur un plan matériel ou juridique, pourront être rapidement prises pour garantir la protection des enfants et des adolescents durant cette crise sanitaire. Nous appelons également à en tirer d’ores et déjà des enseignements pour l’avenir, cette crise étant venue confirmer et mettre au jour, le délabrement général des services de prévention, de protection de l’enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse sur lequel nous vous avions plusieurs fois alertés. Si les places en foyer n’étaient pas aussi difficiles à trouver et suffisamment diversifiées en temps normal, si les moyens humains, matériels et techniques de tous les acteurs étaient suffisants, peut-être aurions-nous pu éviter une telle imprévisibilité. Aussi, nous espérons que cela sera le chantier prioritaire de l’après-état d’urgence sanitaire, plutôt qu’une réforme non consensuelle du droit pénal des mineurs, notamment en redéployant les moyens substantiels actuellement dévolus aux lieux privatifs de liberté vers les services de prévention, de la protection de l’enfance, de la protection judiciaire de la jeunesse et les tribunaux pour enfants.
En vous remerciant de l’attention portée à ce courrier, nous vous assurons, Madame la ministre, Monsieur le secrétaire d’État, de notre plus haute considération.
Signataires : Avocats conseil d’entreprise (ACE), Barreau de Paris, Confédération générale du travail (CGT), Conférence des bâtonniers, Conseil national des barreaux (CNB), Convention nationale des associations de protection de l’Enfant (CNAPE), Fédération des conseils de parents d’élèves Paris (FCPE75), Fédération nationale des unions de jeunes avocats (FNUJA), Fédération SUD SANTE SOCIAUX, Fédération syndicale unitaire (FSU), Ligue des droits de l’homme (LDH), Observatoire international des prisons Section Française (OIP-SF), Syndicat des avocats de France (SAF), Syndicat de la magistrature (SM), Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire (SNEPAP-FSU), Syndicat national des personnels de l’éducation et du social – PJJ (SNPES-PJJ/FSU), Syndicat national unitaire des assistants sociaux de la fonction publique (SNUASFP-FSU), la FSU territoriale (SNUTER-FSU), Solidaires Justice, Union syndicale Solidaires.
lundi 6 avril 2020
UFAS CGT : Lettre ouverte au Ministre
Face à la situation de plus en plus difficile et complexe dans nos
établissements en terme de conditions de travail et de prise en charge
des usagers dans le contexte de pandémie du Covid 19, l'Union Fédérale de l'Action Sociale CGT a
décidé d'interpeller le Ministre de la santé ainsi que les 3 secrétaires
d'Etat en charge de notre secteur :
Mesdames, Messieurs,
Les secteurs du social (protection de l’enfance, inadaptation) et du médico-social sont à ce jour gravement impactés par la situation d’urgence sanitaire engendrée par la pandémie du Covid 19.
Ces champs d’intervention, invisibles aux yeux du grand public, accueillent et prennent en charge des populations particulièrement fragiles et vulnérables dans le cadre des missions de service public d’aide et d’assistance indispensables à la cohésion sociale. Ils apparaissent aujourd’hui à la lumière des réalités vécues par les salarié.es dans les établissements ou services, comme les parents pauvres des priorités gouvernementales en matière de mesures sanitaires et de protection.
Cette crise sanitaire est par ailleurs révélatrice de l’absence criante de moyens pour les établissements, que la CGT n’a de cesse de dénoncer depuis des années. Aujourd’hui, nombre de salarié.es, tous secteurs professionnels confondus, mais aussi les personnes accompagnées ou accueillies, doivent faire face à une situation inédite et grandement anxiogène laquelle met ouvertement en jeu leur sécurité et leur santé.
En effet, malgré les ordonnances gouvernementales portant mesures d’urgence sanitaire en matière de protection, nombre de salarié.es en contact direct et journalier avec les enfants ou adultes confinés dans leur structure d’accueil (et dont nombre d’entre eux, comme par exemple dans le secteur de la protection de l’enfance, n’ont pas de possibilité d’accueil en famille) travaillent au quotidien sans aucune protection (masques, gel hydroalcoolique…) ; chaque jour, ils s’exposent ainsi à une contamination qu’ils sont susceptibles de communiquer dans leur propre foyer et réciproquement, qu’ils peuvent communiquer aux personnes qu’ils côtoient. Aucun test n’est en effet réalisé permettant de dépister les porteurs asymptomatiques.Cette situation de mise en danger n’est pas acceptable d’autant qu’elle contribue à la propagation du Covid 19.
Du côté des usagers, les mesures de confinement sont souvent difficiles à respecter notamment si elles s’inscrivent dans la durée et ont de fait, un impact important sur ces populations aux problématiques souvent complexes. Et que dire de la situation de nombre de mineur.es isolé.es étranger.es qui, faute de structure d’accueil, se retrouvent en danger dans la rue sans protection, nourriture ou accompagnement dans une période de confinement généralisé ?
Bien que sans moyens de protection, c’est avec beaucoup de professionnalisme que les salarié.es en poste continuent aujourd’hui d’accomplir leurs missions, alors que leurs conditions de travail étaient déjà très difficiles. Cette situation appelle à la plus grande attention et à la reconnaissance des pouvoirs publics et des employeurs de ces secteurs d’activité.
La CGT demande le maintien intégral des salaires de l’ensemble des professionnel.es - tous secteurs confondus - et quelle que soit la forme de travail ou de confinement à domicile (salarié.es en poste, en télétravail ou en garde d’enfants).
Le Ministère doit garantir aux associations gestionnaires et aux établissements sociaux et médico-sociaux, le maintien des budgets alloués malgré une structuration voire une répartition différente de l’activité et/ou un changement de modalités d’interventions, pouvant être interprétés comme à la baisse par les pouvoirs publics ou les employeurs et ce, quels que soient les modes de financement, Etat (ARS) ou conseils départementaux.
Partout dans les établissements, se mettent en place des Plans de Continuité de l’Activité (PCA) afin d’organiser au mieux l’accueil et la protection des usagers. Pour être véritablement efficients, ces PCA nécessitent que tous les acteurs institutionnels soient mobilisés et associés et notamment, les instances représentatives du personnel (CSE, CSSCT, représentant.es de proximité). Or, force est de constater ce jour, que ces instances sont encore trop souvent ni informées, ni consultées, au mépris donc des obligations légales.
La CGT demande que partout soit rappelée l’obligation impérative d’informer et de consulter les instances représentatives du personnel quant aux mesures envisagées, condition indispensable qui plus est, en cette période de crise sanitaire, pour une prise en charge sécurisée des usagers et une protection renforcée des salarié.es.
Dans un tel contexte, au regard des conditions de travail particulièrement éprouvantes (surcharges et risques psycho-sociaux associés…), il est également indispensable que le droit du travail soit sécurisé.
De fait, la CGT est opposée aux dérogations prévues par l’ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 sur les congés payés, la durée du travail et le repos hebdomadaire, permettant aux employeurs de porter unilatéralement la durée du travail journalière à 12 heures et celle hebdomadaire de 35 heures à 60 heures jusqu’au 31 décembre 2020.
Dans le secteur social et médico-social, il y a encore moins de justification à déréglementer le droit du travail. En effet, dans les établissements, bien que les situations soient diverses en termes de maintien de l’activité, de taux de remplissage et de conditions d’exercice des missions, après la crise, l’activité reprendra son cours normal.Nous constatons que malgré l’absence de décret d’application relatif à cette ordonnance, nombre d’employeurs mettent en place la semaine de 60 heures en toute illégalité.
Déroger à ces règles revient à démultiplier le risque d’un épuisement au travail des personnels déjà surchargés et peut conduire inévitablement à une multiplication des arrêts de travail pour maladie, sans compter un amoindrissement de la qualité de l’accompagnement des personnes, dans un contexte où près de 30 % des salarié.es en moyenne sont en situation de confinement à domicile.
La CGT attire l’attention des pouvoirs publics concernant la réserve sociale : les absences de personnels (malades ou en suractivité due à la fermeture des établissements scolaires ou structures de travail protégés) engendrent la mise à disposition :- de salarié.es également mobilisables dans des établissements autres que leur service d’origine voire dans un autre secteur : du médico-social vers la protection de l’enfance par exemple ;- ou d’étudiant.es en travail social en tant que stagiaires ou bénévoles.
Là aussi, la CGT dénonce une situation qui n’est pas acceptable et demande à ce que :
- la mise à disposition ne soit uniquement possible que sur la base du volontariat et dans le respect du droit du travail ;- les salarié.es ou agents soient affecté.es à des postes équivalents au leur et de même niveau de qualification ;- ces étudiant.es puissent bénéficier, le temps de la crise sanitaire, de contrats de travail à durée déterminée - puisqu’en remplacement de postes ou pour pallier à la suractivité - et être ainsi rémunéré.es au même titre que les professionnel.les en poste.
Ce n’est pas en effet aux salarié.es ou aux étudiant.es de faire les frais de la crise sanitaire en cours au travers d’une flexibilité accrue ou d’une dégradation importante de leurs conditions de travail.
Fidèle à ses valeurs, la CGT restera particulièrement vigilante dans les semaines et les mois à venir, à ce que les salarié.es du secteur social et médico-social, par ailleurs largement mobilisé.es et solidaires de l’effort national consenti pour éradiquer cette pandémie, puissent continuer à exercer leurs missions dans les meilleures conditions possibles et en toute protection, dans l’intérêt également des personnes vulnérables accompagnées.
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