vendredi 11 décembre 2020

Nicolas Sarkozy, le secret professionnel, et les travailleurs sociaux



Le procès actuel auquel est confronté l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy fait l’objet d’une promotion sans faille du respect du secret professionnel. C’est un juste retour des choses diront certains puisque  dans cette affaire, Gilbert Azibert, haut magistrat au sein de la Cour de cassation, est soupçonné de l’avoir violé en 2014 en transmettant des informations à L’avocat de Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog. Celui-ci qui l’avait interrogé sur un pourvoi en cassation lié à l’affaire Bettencourt.

Sans entrer dans les détails, vous noterez qu’un avocat, un magistrat et un ancien président de la République sont accusés d’avoir porté atteinte au secret professionnel, celui lié à une instruction en cours.

Mais c’est surtout la levée du secret professionnel entre un avocat et son client qui est au centre de la polémique et de la défense de l’ancien président. Placé sur écoute, les échanges concernant les accusés (Paul Bismuth et  Thierry Herzog son avocat) relèvent de la violation d’un secret. Celui qui lie un avocat à son client. Henri Leclerc, ancien président de la ligue des Droits de l’Homme a expliqué à la barre que « Si vous voulez une défense, il faut qu’il y ait un secret. Il est à la base. Parce qu’on trouve dans le secret partagé des éléments pour défendre. Pour nous, avocats, le secret professionnel est absolu ». Olivier Cousi, le bâtonnier de Paris, considère lui que   : « En touchant au secret professionnel de l’avocat, vous touchez à un droit fondamental du citoyen ». (Le Monde du 4 décembre 2020)

Il y a donc une double défense du secret professionnel dans ce procès. Celui qui concerne la confidentialité des informations relevant d’une instruction judiciaire et celui qui serait violé par des écoutes d’un professionnel soumis au secret. En l’occurrence ici un avocat et son client.

Alors, direz-vous, quel rapport avec le travail social ?

Le secret professionnel, nous explique aujourd’hui la défense de Nicolas Sarkozy, est constitutif de l’État de droit et permet que s’instaure la confiance entre un justiciable et son avocat. L’absence de secret empêchera l’avocat de travailler. Si ce que dit un prévenu à son avocat est répété et utilisé par la partie civile, il n’y a plus de procès équitable et toutes les dérives sont possibles.

Ce secret n’est pas à géométrie variable. Il est le même  que celui du journaliste d’investigation qui protège ses sources et celui travailleur social qui permet à la personne de se confier, de parler à un professionnel qui tente de l’aider même quand elle est en délicatesse avec la justice.

Tous les intervenants soumis au secret professionnel relèvent du même texte  : l’article 226-13 du code pénal. Il n’y a donc pas un secret plus important qu’un autre. Le secret médical vaut autant que celui de l’avocat, du journaliste et du travailleur social. (notamment l’assistant.e de service social qui y est soumis.e par le simple fait d’être diplômé.e)

Quand Nicolas Sarkozy tentait de supprimer purement et simplement le secret professionnel

J’aimerai pouvoir rappeler à notre ancien président qu’il n’a pas vraiment défendu en son temps le secret professionnel qui est aujourd’hui si important à ses yeux. Il semble se rendre compte, certes un peu tard, combien ce  secret est nécessaire à la vie démocratique et pour tout citoyen qui fait appel à un professionnel qui y est soumis.

Rappelons-nous. En 2002 Nicolas Sarkozy ministre de l’Intérieur  portait un pré-projet de loi de prévention de la délinquance dont un article avait soulevé une grande émotion. J’étais à l’époque président  de l’ANAS. Nous avions tout de suite compris que se préparait sous couvert de prévention une levée complète du secret professionnel aussi bien pour  les médecins des services PMI et les travailleurs sociaux.  Il prévoyait que « Tout professionnel qui intervient au bénéfice d’une personne présentant des difficultés sociales, éducatives ou matérielles, est tenu d’en informer le maire de la commune de résidence ou la personne par lui désignée aux fins de le substituer. » Un alinéa prévoyait même des sanctions si le professionnel n’informait pas le maire (qui au passage n’avait rien demandé).

C’était la fin du secret professionnel pour les intervenants de l’aide et du soin. À plusieurs organisations, nous avions été reçus par Rachida Dati et Nicolas Sarkozy pour faire part de notre désaccord et de notre volonté que ce projet d’article soit retiré. Nous avions vite constaté combien à l’époque le secret professionnel était perçu comme un obstacle à la lutte contre la délinquance. Cela laissait aussi supposer que les travailleurs sociaux protégeaient des personnes fort peu respectables.

Le 9 avril 2003, Dominique Perben présentait au Conseil des ministres, le projet de loi « portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ». C’était encore pire. Il permettait de supprimer le secret professionnel dans le cadre de toute instruction judiciaire.  Là aussi la mobilisation des travailleurs sociaux mais aussi des journalistes, des avocats et des médecins avait permis de freiner les ardeurs du gouvernement de l’époque.

Le secret professionnel a été régulièrement mis en cause notamment au nom de la lutte contre la délinquance. Aujourd’hui, celui qui visait à le supprimer  y fait désormais appel pour se défendre. Voilà un étrange retournement de situation qu’il me parait utile de souligner car, entre nous, cela ne manque pas de sel.

 Article original sur "Ecrire Pour et sur le Travail Social", le blog de Didier Dubasque

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